Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/366

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’état pourrait facilement augmenter de moitié et peut-être même se doubler. Leur rémunération aussi serait sensiblement plus élevée, si leurs connaissances professionnelles étaient moins insuffisantes. Enfin ces industries mêmes sont susceptibles d’une très grande expansion ; tous les déposans à l’enquête sur l’enseignement professionnel déclarent que nos exportations de ces articles si variés pourraient s’accroître dans des proportions considérables, si l’apprentissage était moins défectueux et la masse du personnel ouvrier plus régulièrement préparée à la pratique du métier. Qu’on pense encore aux débouchés que pourrait offrir le commerce, s’il se fondait pour les femmes des institutions d’enseignement commercial, qu’on fasse entrer en ligne de compte aussi les positions qu’elles pourraient prendre dans l’enseignement public, on verra que le champ ouvert à leur activité est presque indéfini ; il s’agit seulement de leur donner les moyens de le cultiver. Les industries de la couture, de la broderie, etc., seraient alors dégagées d’une partie du personnel surabondant qui pèse sur elles et qui y déprime les salaires.

De même que, sur un marché qui est surchargé, il suffit quelquefois de retirer une quantité relativement minime de denrées pour que les prix se relèvent, ainsi il suffirait, dans une grande ville comme Paris, que quelques milliers de femmes trouvassent en dehors de la couture et des travaux du même genre une occupation lucrative pour que les salaires de toutes les ouvrières devinssent plus rémunérateurs. L’œuvre est donc moins colossale qu’elle n’en a l’apparence. Que d’élémens de réforme d’ailleurs n’avons-nous pas sur notre sol de France ! Ce n’est pas le zèle qui manque. Nous avons des ouvroirs par centaines, on pourrait presque dire par milliers : ce sont là les élémens tout prêts d’un vaste enseignement professionnel pour les femmes ; seulement ces efforts jusqu’ici ont été incohérens, quelquefois peu éclairés, presque toujours dépourvus de méthode. Aussi ont-ils rarement atteint le but qu’ils se proposent, parfois même ils ont desservi la cause qu’ils voulaient soutenir. Il est des cas trop nombreux où ils n’ont fait que remplir surabondamment les cadres d’une industrie déjà encombrée et précipiter des légions de jeunes filles dans des professions peu lucratives. C’est qu’il faut que le désir du bien soit guidé par la science. On connaît aujourd’hui parfaitement quelles sont les lacunes de l’éducation des femmes, quels sont les débouchés qu’il leur faut ouvrir ; il est donc plus aisé de travailler avec confiance et avec efficacité à relever la destinée de l’ouvrière.


PAUL LEROY-BEAULIEU.