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une clientèle d’élite qui échappent à cette impulsion. Voilà comment on explique que 64 pour 100 des industriels parisiens aient déclaré ne pas avoir de morte saison. Une autre cause vient encore amoindrir ce fléau. Beaucoup de ces chômages tiennent à l’éloignement pendant l’été de la partie la plus opulente de la société parisienne, mais cet éloignement se trouve compensé par l’affluence considérable d’étrangers et de provinciaux que la belle saison attire à Paris. Quand on dit par exemple que les blanchisseuses de fin chôment de juin à novembre, n’y a-t-il pas là une singulière exagération ?

Une autre erreur serait de regarder la totalité des ouvrières des industries où sévit la morte saison comme privées d’ouvrage d’une manière continue pendant tout le temps des chômages. La morte saison n’est que le ralentissement de la production ; une partie du personnel ordinaire est licenciée, ou bien on ne donne alors à chaque ouvrière que la moitié ou le tiers de l’ouvrage qu’elle avait auparavant. Ainsi l’enquête de 1864 nous apprend que, pendant la morte saison dans l’industrie des chapeaux de paille, 904 ouvriers seulement étaient occupés au lieu de 2,500 ; les reperceuses restèrent au complet, mais n’avaient de l’ouvrage que deux jours par semaine pendant trois mois de l’année. Ce serait encore exagérer les rigueurs de la morte saison que de regarder comme absolument dénuées de ressources les ouvrières que leur industrie habituelle laisse alors sans travail. Les femmes, sur ce point, sont plus heureuses que les hommes. Elles peuvent se rejeter sur des travaux qui offrent une rémunération moindre, il est vrai, mais dont on doit tenir compte. Ainsi les ouvrières des tailleurs sur mesure, qui étaient à peu près condamnées jadis à une inaction de six mois, trouvent aujourd’hui de l’ouvrage chez les confectionneurs pendant la morte saison. La couture du linge de maison, draps de lit, nappes, serviettes, est la ressource de la plupart des ouvrières en lingerie pendant les chômages. On multiplierait les exemples à l’infini. Il y a un certain nombre d’industries qui sont les succédanées d’industries plus importantes et plus relevées ; de là viennent les salaires très bas que l’on rencontre dans quelques métiers. C’est que ces métiers ne vivent qu’à l’ombre d’autres plus importans ; ils ont un personnel d’occasion et de passage qui, cherchant à utiliser les heures perdues pour, industrie principale, accepte une rétribution réduite. La morte saison n’est donc jamais complètement improductive, tout comme la terre qui, sous un bon régime de culture, au lieu de jachères, présente une alternance de récoltes qui toutes donnent quelque revenu. Réduite à ces proportions, la morte saison laisse encore un gain à l’ouvrière, mais ce gain est en général moitié