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d’Allemagne, de Bohême et d’Autriche. Nul ne peut savoir où s’arrêtera ce mouvement.

Ici pourtant se présente une difficulté de jurisprudence ecclésiastique : jusqu’à quel point, en droit canonique, un évêque peut-il remplir des fonctions épiscopales dans un autre diocèse que le sien et sans la permission de l’évêque du lieu ? La question, paraît-il, est quelque peu embarrassante. Cependant cette fois encore les évêques de Hollande, pourraient invoquer la loi suprême de la nécessité. Au point de vue catholique en général, il ne peut être permis de laisser périr les âmes par un respect outré des règlemens disciplinaires, et il y a dans l’histoire de l’église des précédens qui pourraient servir à justifier leur intervention. Par exemple, au temps où, selon l’énergique expression d’un père de l’église, le monde s’étonnait d’être arien, lorsque la majorité des évêques, soit par faiblesse, soit par conviction, pactisait avec l’hérésie, il y eut des évêques orthodoxes qui ne craignirent pas de se rendre dans des diocèses autres que les leurs pour porter le secours de leur ministère aux âmes fidèles qui gémissaient sous le joug de pasteurs indignes. Aujourd’hui, peuvent dire les évêques hollandais, la catholicité n’est pas moins étonnée de se trouver ultramontaine.

Pour nous qui assistons en témoins sympathiques, mais du dehors et avec un complet désintéressement, à cette crise intérieure du catholicisme, nous n’ayons qu’un vœu à émettre, c’est que la religion pure, le spiritualisme chrétien, la liberté des consciences, les idées de largeur et de progrès dans la connaissance de la vérité, remportent une éclatante victoire dont la civilisation tout entière recueillerait les précieux fruits. Nous devons avouer que les difficultés tirées du droit canon, ainsi que les moyens d’y parer, nous laissent très froids en comparaison des grands intérêts qui dominent de si haut tout ce conflit ; mais en matière religieuse plus qu’en toute autre il faut savoir respecter les scrupules et ne pas se formaliser de ce que le progrès suit des routes très bizarres ou très étroites à notre sens. Parfois les plus grands fleures se voient resserrés entre des rochers ; ils n’y perdent rien, ni en impétuosité, ni en profondeur, au contraire. Si cette image peut s’appliquer au mouvement des anciens-catholiques, et si l’église d’Utrecht est appelée à lui fournir l’issue dont il a besoin pour ne pas tourbillonner dans l’impuissance, on pourra dire de cette église ce qu’un prophète juif dit un jour de Bethlehem : « Tu es la plus petite des villes de Juda, pourtant de toi sortira le salut. »


ALBERT RÉVILLE.