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exact, le fils qui a vu le tapis sera-t-il en droit de faire valoir cette connaissance qu’il n’a acquise qu’en désobéissant, et devra-t-il refuser de signer que le tapis est rouge ? Le père avait le droit de défendre à ses enfans de regarder dans la chambre, il avait aussi le droit de prescrire à ses enfans de signer ce qu’on leur donnait à signer, et ce n’est pas l’acte de désobéissance antérieure commis par l’un des enfans qui pouvait exempter celui-ci de l’obligation d’obéir à l’ordre paternel. »

On voit où le nonce voulait en venir. Le pape est le père des catholiques, il a interdit d’abord la lecture de l’Augustinus, puis il a condamné certaines propositions qu’il prétend contenues dans ce livre. Ceux qui refusent de souscrire la condamnation sous prétexte que les propositions condamnées ne sont pas dans le livre doivent avouer qu’ils ont lu un ouvrage défendu. Comment cette faute pourrait-elle leur donner un droit de résistance que la soumission complète ne leur eût pas conféré ? Et pourquoi l’archevêque d’Utrecht ne mettait-il pas sa conscience à l’aise en se disant qu’après tout, s’il plaît au saint-père de déclarer rouge le tapis qu’il sait vert, cela regarde le saint-père, non pas lui, et qu’il peut signer les yeux fermés ce qu’on lui présente ?

L’archevêque se défendit de son mieux contre ce sophisme captieux ; rien n’est plus curieux que de suivre le long de cet entretien le duel acharné que se livrent sous des formes courtoises la diplomatie subtile de l’Italien et la bonne grosse probité hollandaise, qui ne peut se persuader qu’un faux en écriture soit susceptible de se transformer en œuvre pie. Si l’archevêque eût été, comme le nonce croyait peut-être qu’il était fatigué de sa position et simplement désireux de trouver un biais qui lui permit d’en sortir avec honneur, peut-être eût-il prêté l’oreille à des propositions d’arrangement qui eussent sauvé les apparences. Pour d’honneur de sa réputation et de son église, il demeura sourd aux offres, aux cajoleries et même aux menaces du nonce, qui, furieux à la fin, le congédia en confirmant l’anathème lancéê par les pontifes romains contre l’épiscopat schismatique.

Depuis lors l’église catholique-épiscopale ou ancienne catholique des Pays-Bas continua de végéter, se maintenant, mais ne pouvant s’étendre, de plus en plus oubliée, beaucoup trop dédaignée de ceux même qui, dans le sein du catholicisme, commençaient à s’alarmer de la tournure que la politique religieuse prenait à Rome. Chaque fois qu’un nouveau pape montait sur le trône pontifical, la petite église le saluait humblement, demandant une enquête nouvelle et son rétablissement dans ses droits ; on lui répondait par l’anathème. Chaque fois qu’un nouvel évêque était intronisé dans un de ses