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Le résultat fut que Codde se vit accueilli à Rome de la manière la plus gracieuse. Le pape Clément XI déclara qu’il était enchanté des entretiens qu’il avait eus avec lui. Sa sainteté prit même hautement sa défense au sein du conclave, et en témoignage de son estime particulière elle voulut qu’une des premières places fût assignée à l’archevêque d’Utrecht lors des grandes fêtes célébrées à l’occasion du jubilé de l’an 1700. Le brave Codde fut littéralement enguirlandé, se reprocha d’avoir été trop vite effrayé, et écrivit en Hollande qu’il fallait se rassurer, que la cause de l’épiscopat était gagnée.

En réalité, cette cause était perdue. Tandis qu’on l’accablait à Rome de marques de bienveillance, le bref pontifical qui le suspendait arrivait en Hollande, et un pro-vicaire nommé par le pape pour le remplacer se présentait inopinément devant le chapitre. Codde s’aperçut qu’on l’avait joué, et voulut repartir sans délai pour les Pays-Bas. Nouvelle déception ! l’ordre était donné de ne pas le laisser partir, et il dut ronger son frein pendant que là-bas on bouleversait son cher diocèse.

Dans les Provinces-Unies, le chapitre d’Utrecht, ne reconnaissant pas à la cour de Rome le droit de déposer ainsi sans autre forme de procès un archevêque nommé canoniquement, refusa de se soumettre au pro-vicaire envoyé par le pape. L’internonce n’attendait que ce moment. Il répondit à la résistance prévue du chapitre en publiant le décret qui supprimait les chapitres d’Utrecht et de Harlem. Nouvelles protestations, nouveaux refus de soumission, répliques et dupliques ; en attendant, Codde était toujours retenu à Rome. Les états à la fin se fâchèrent, et, bien que protestans et par conséquent très indifférens à la question théologique débattue entre Rome et Utrecht, ils firent réclamer en termes énergiques la mise en liberté de leur compatriote. Il y avait déjà quatre ans qu’il était captif de fait. En ce temps-là, il n’était pas prudent de s’attirer le courroux de leurs hautes puissances les états. Rome comprit qu’elle devait capituler, mais elle prit ses précautions. Elle fit signera Codde, qu’on avait laissé soigneusement dans l’ignorance des démarches faites en sa faveur, des engagemens qui, sans lui ôter précisément sa dignité d’archevêque, lui liaient les mains dans son propre diocèse et ne lui permettaient plus d’exercer réellement les fonctions inhérentes à son titre. Le vieillard inquiet, abattu, désireux avant tout de revoir son pays, souscrivit ce qu’on voulut, et revint désespéré à Utrecht. La situation en effet était devenue très critique. Il y avait un archevêque, un chapitre, un diocèse ; mais ce diocèse était supprimé en principe, ce chapitre était annulé, cet archevêque ne pouvait plus se donner des coadjuteurs.