Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/322

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

croire la lutte assoupie pour longtemps, lorsqu’un jésuite français la ranima. Ce jésuite, Louis Doucin, accompagnait l’un des diplomates français qui concoururent à la paix de Ryswyk (1697). Le jansénisme était sa bête noire, il en voyait, il en mettait partout, et, comme les catholiques néerlandais ne partageaient point son horreur pour cette tendance, il crut que l’église néerlandaise était empoisonnée, gangrenée, absolument perdue par la faute de ses évêques. Il écrivit tout un livre pour dévoiler ce mystère d’iniquité, et ce livre fit à Rome un effet désastreux pour la cause épiscopale en Hollande. En vain Codde voulut se justifier et envoya au saint-siège une réfutation détaillée. Une commission de cardinaux, constituée ad hoc, le déclara suspens. La suppression du diocèse était même imminente, et Codde ne vit de chance de salut que dans un voyage à Rome, où il plaiderait lui-même sa cause auprès du saint-père.

Alors se déroula l’une de ces tragi-comédies que l’histoire sacrée connaît, hélas ! aussi bien que la profane. Codde croyait s’adresser à des juges prévenus, mais impartiaux d’intention et disposés à se rendre à de bonnes raisons. L’idée qu’on oserait, sans motifs de la plus haute gravité, usurper sur les droits de l’épiscopat au point de supprimer d’un trait de plume un diocèse constitué par saint Willebrord et saint Boniface, un diocèse qui, malgré les malheurs récens, comptait encore 300,000 diocésains, une telle idée ne pouvait lui entrer dans l’esprit. Tout d’ailleurs ne commandait-il pas de laisser l’église catholique des Pays-Bas en possession de son clergé séculier, désormais reconnu, respecté par les pouvoirs politiques, très désireux de rester dans l’unité catholique, et toutefois ne donnant plus de prise aux soupçons des patriotes ? Ne serait-ce pas combler les vœux des ennemis déclarés de cette église que de l’enlever à ses chefs naturels pour la livrer à des moines étrangers, suspects par cela même, et qui ressusciteraient par leur intrusion les défiances dont elle avait eu tant de peine à triompher ? Les jésuites avaient accusé Codde en cour papale d’être méprisé de son propre clergé : Codde arrivait avec des attestations d’estime et d’affection chaleureuse signées par plus de 300 ecclésiastiques de son diocèse. Que lui parlait-on de son jansénisme ? Il désavouait en son nom et au nom de tous les siens la doctrine janséniste condamnée à Rome, lors même qu’il persistait à penser qu’on n’avait pas bien compris Jansénius lui-même ni ses intentions réelles. Enfin les états lui prêtaient leur appui indirect, en ce sens que le saint-père était averti du fâcheux effet que produiraient en Hollande la suppression de l’épiscopat national et son remplacement par des moines.