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ce grand principe des atteintes que ses partisans victorieux étaient toujours tentés de lui porter. C’est ainsi que l’Union d’Utrecht assurait aux catholiques néerlandais le libre exercice de leur religion. Cependant il y avait dans la situation nouvelle des élémens de commotions religieuses que toute la prudence humaine ne pouvait conjurer. D’abord il était visible que la liberté de conscience profitait en premier lieu à l’église protestante, qui se recrutait désormais parmi ces timides, toujours nombreux dans les temps de crise, qui attendent que la victoire se décide dans le sens de leurs préférences pour oser les avouer. Ensuite on ne pouvait se soustraire à l’évidence que, si la lutte avec l’Espagne avait été dans son principe essentiellement politique, la prolongation de la lutte, les énormes sacrifices qu’elle avait entraînés, le pouvoir de fait dont elle avait investi la bourgeoisie des villes, très favorable aux idées républicaines et protestantes, avaient de plus en plus fait passer la prépondérance morale du côté de l’église réformée. Cette église était ainsi devenue l’âme de l’insurrection, elle en avait entretenu la flamme, elle avait confondu sa cause avec celle du patriotisme. La victoire nationale était donc aussi la sienne ; mais alors il fallait compter avec la soif des représailles, avec la haine amoncelée au cœur d’hommes qui avaient vu périr sur les échafauds leurs amis, leurs parens, leurs enfans, leurs femmes, et qui portaient souvent eux-mêmes sur leurs têtes sans nez ou sans oreilles les marquas des cruautés monstrueuses commises par les tribunaux de l’inquisition. Enfin il ne faut pas s’étonner si les catholiques, surtout les prêtres, toujours très attachés à la vieille foi, sentaient leur patriotisme se refroidir à la vue des pertes que la victoire du parti national infligeait fatalement à leur église. Les preuves de ce changement de dispositions frappaient les yeux de tous. De là des soupçons, des défiances, des mesures de précaution de la part des victorieux, qui voyaient dans le maintien de l’église catholique une porte toujours ouverte à la réaction espagnole. C’est ainsi que les états, sans entendre par là porter atteinte aux clauses libérales de l’Union d’Utrecht, bannirent de la république les moines et les jésuites, considérés comme autant d’agens secrets du roi d’Espagne. Les grands temples furent enlevés aux catholiques et donnés ad ? réformés, dont l’église devint celle de l’état, et qui seuls furent reconnus aptes aux emplois publics. Dès 1580, le chapitre d’Utrecht se vit privé de tout droit politique, et ses biens furent réunis au domaine national. Plus d’une fois même le culte catholique fut interdit, bien que le nombre des catholiques atteignît encore la moitié au moins du chiure total de la population ; mais c’était une moitié pauvre, ignorante, pliant humblement sous les ordonnances