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réalité très indépendante. Les évêques étaient princes au temporel comme au spirituel. Souvent en lutte avec les bourgeois, qui tenaient ferme à leurs franchises, ils étaient aussi souvent en guerre avec les comtes de Hollande et de Gueldre, ou bien ceux-ci tâchaient de promouvoir au siège épiscopal leurs parens ou leurs favoris. De là des dissensions, parfois très violentes, où les papes intervinrent pour l’amour de la paix et aussi pour faire acte d’autorité.

Cette autorité toutefois n’était reconnue que dans de certaines limites. Ainsi, lorsque le pape Martin V (1423-1431) lança l’anathème sur l’évêque d’Utrecht et son diocèse tout entier, l’évêque, le clergé, les fidèles bravèrent l’excommunication et n’en tinrent pas le moindre compte. La messe fut dite, les sacremens administrés, les morts enterrés absolument comme si de rien n’était. L’événement leur donna raison. Le successeur de Martin, Eugène IV, animé de dispositions contraires, retira l’anathème, qui fut ainsi une arme sans force, telum imbelle sine ictu. Lorsqu’on suit l’histoire intérieure de ce diocèse, on n’est donc pas étonné d’en voir sortir des hommes qui joignent à un profond attachement pour la grande tradition catholique une foi assez médiocre dans les prérogatives de la papauté. Le plus remarquable fut l’Utrechtois Adrien Booijens, plus connu sous le nom du pape Adrien VI (1532-1533). Il avait professé la théologie scolastique avant de monter si haut, et nous lisons dans un de ses traités cette déclaration carrément énoncée : « il est certain que le pape peut errer aussi dans les choses qui concernent la foi… Plus d’un pontife romain en effet a été hérétique[1]. »

Ce même esprit d’indépendance en face des exigences pontificales se retrouve dans deux ordres de faits également caractéristiques de l’ancien catholicisme néerlandais. C’est d’abord la résistance des évêques d’Utrecht à l’influence des ordres mendians, ces armées du saint-siège, relevant directement de lui et toujours disposées à miner partout où elles venaient camper l’autorité de l’ordinaire. C’est ensuite, depuis le XIVe siècle, la grande extension de l’ordre mystique connu sous le nom de Frères de la vie commune, ces pieuses corporations très attachées à l’orthodoxie, mais qui réagissaient contre la scolastique régnante et le formalisme des pratiques dévotes. Une piété onctueuse, pénétrante, presque voluptueuse, beaucoup d’ardeur pour les œuvres de bienfaisance, une tendance prononcée à saisir l’enseignement de l’église par son côté consolant et régénérateur plutôt que par le côté dogmatique, une préférence très visible pour la doctrine de la grâce telle que Paul

  1. Certum est quod papa possit errare etiam in rebus quæ tangunt fidem… Plures enim fuerunt pontiflces romani hæretici. — Quœstiones in quartum sententiarum magistri Hadriani Florentii Trajectensis, fol. XXIII.