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citoyens ; il semble donc moins redoutable et moins grand que le juge.

Qui le premier a décidé que tout esclave devenait libre en touchant le sol anglais ? C’est lord Mansfield à propos d’un noir saisi sur un vaisseau de la Tamise. Qui apprit la tolérance aux whigs ? Ce sont les magistrats. Ils ont atténué les effets des lois iniques contre les dissidens et Les catholiques. Les gens de robe, habitués à consulter la raison, ne sont pas enclins au fanatisme. Lord Mansfield, conservateur si sévère, gardien si jaloux des droits de toute autorité antique, fut un protecteur des dissidens. Il condamna la corporation de la Cité de Londres, qui infligeait des amendes aux shérifs qu’elle avait nommés et qui ne pouvaient remplir leurs fonctions faute de se conformer au rite anglican. « Ce n’est pas un crime, disait-il à la chambre des lords, érigée en cour d’appel, pour un homme de dire qu’il est un dissident, ce n’est pas un crime pour lui de ne pas recevoir le sacrement suivant les rites de l’église d’Angleterre ; le crime consisterait à le faire contrairement aux dictées de la conscience (1767). » C’est la cour de chancellerie qui a tout à fait mis à l’abri les chapelles et les terres des sectes dissidentes (1844). Faut-il rappeler tout ce qu’ont fait les juges pour une liberté aussi précieuse que la liberté de conscience, pour la liberté personnelle ? Jusqu’au règne de George III, il fut permis de faire des arrestations en vertu de mandats généraux (general warrants) qui ne désignaient pas nominativement les personnes suspectes. Quand parut le 45e numéro du journal de Wilkes, le North Union, Halifax fit arrêter 45 personnes. En 1762, le chief justice du banc du roi prononça que ces mandats généraux étaient illégaux ; les agens du pouvoir furent condamnés à de fortes amendes. Wilkes, un moment arrêté, obtint 100,000 francs de dommages-intérêts. Les tribunaux interdirent, jusqu’à la saisie en bloc des papiers d’un sujet du roi ; les mandats de saisie doivent spécifier exactement les papiers qui sont recherchés, et ce sont les seuls qu’on puisse emporter. Il n’est pas licite de mettre le domicile d’un citoyen au pillage. Lord Camden expose cette doctrine en 1765 dans la cour des plaids communs.

Les communes n’intervinrent pas législativement dans ces fameuses querelles. Pendant que les procès relatifs aux mandats généraux duraient encore, l’attorney-général pouvait dire audacieusement « qu’il ne se souciait pas plus des résolutions des communes en cette matière que d’autant de jurons de porteurs ivres. » Les résolutions des communes ne sont en effet que des expressions d’opinion, elles n’ont pas de sanction légale. Les communes ne se croient pas le droit de changer une loi pendant qu’elle s’interprète et s’exécute : elles ne pourraient donner à une loi nouvelle un effet