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comme d’un corps distinct du corps politique. Ce mot s’emploie dans un tout autre sens ; on dit : « l’administration de lord Palmerston » pour « le cabinet de lord Palmerston ; » c’est qu’en effet le cabinet et la chambre, que le cabinet représente, sont la véritable administration. Il n’y aura rien à redouter de l’esprit bureaucratique tant que le parlement le dominera par l’esprit politique. On pourra centraliser davantage tout ce qui touche à l’éducation publique, à l’assistance, à la collection des impôts ; mais tant que le pouvoir législatif restera le moteur principal de l’état, l’âme du gouvernement, la centralisation, étant liée à la loi, en respectera les formes, les garanties, et ne deviendra pas un instrument d’oppression. Le parlement peut tout changer, il pourra effacer les limites féodales des paroisses, abolir la corporation de Londres, mettre des préfets à la place des lords-lieutenans, réformer Oxford, Cambridge, les grandes écoles : les barrières locales, les constructions antiques, ne restent debout que par sa tolérance ; mais l’instinct de la conservation l’avertit qu’il ne faut pas transférer à d’autres son droit universel de réforme. Les lords eux-mêmes le sentent, ils accordent une réforme pour conserver le droit d’en empêcher une autre.

Il n’y a pas de pays plus centralisé que l’Angleterre, en ce sens qu’il y a une volonté centrale qui peut tout faire et défaire, qui embrasse tout, qui ne connaît pas de frein, qui se modifie librement, d’âge en âge, de génération en génération, d’année en année, en restant toujours souveraine. Cette volonté est économe d’efforts, comme un ouvrier habile qui ne dépense que la force nécessaire pour obtenir un certain effet. Elle ne fait que le nécessaire, elle ne dérange point tous les petits centres où s’accomplit tant bien que mal une besogne sociale, politique, religieuse. Elle laisse vivre tout ce qui a de la vie, durer tout ce qui peut durer. L’Anglais ne goûte pas, ne connaît pas le plaisir de la destruction. Le lord-chancelier est toujours le cancellarius, le gardien de la conscience du roi ; il est le représentant suprême de cette juridiction d’équité, reste des temps barbares où le roi mitigeait lui-même ou cassait les jugemens ; il nomme à des bénéfices et convoque le parlement, il est le tuteur naturel des mineurs, des aliénés ; il confond en sa personne les trois pouvoirs, le judiciaire comme magistrat, l’exécutif comme membre du cabinet et comme représentant spécial du roi, le législatif comme président de la chambre des lords. Quand il s’agit de ses privilèges, la chambre des communes a eu longtemps la prétention de se rendre elle-même justice, et de ne pas tolérer l’intervention des cours ordinaires. Elle a fait incarcérer des prévenus sur un simple mandat et sans indication des motifs de l’arrestation. En