Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/295

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Prusse à la Prusse, comme les Bourbons parlaient à la France. Elle se sent en même temps plus solidaire de la nation et plus étrangère, pourrait-on presque dire, à la nation. Elle a les mêmes principes sans avoir le même sang, elle lui est unie par les intérêts plutôt que par les instincts. Elle plane comme un arbitre au-dessus des partis. Elle est moins une race qu’une magistrature. Son principe véritable, c’est l’utilité. We love, dit Cowper, the king who loves the law (nous aimons le roi qui aime la loi).

Depuis la chute des Stuarts, les discussions sur la prérogative royale n’ont été que des querelles de ménage ; la monarchie ne disait plus : être ou ne pas être ; elle argumentait, marchandait. Les derniers dévots de la royauté furent ceux qu’on nomma sous George III « les amis du roi, » qui n’allaient point à la cour, mais qui attaquaient l’administration au nom du souverain, dont ils prétendaient connaître la pensée secrète. Au fond, c’était leur propre pensée qu’ils défendaient. Lord Bute fut le dernier favori ; George III, qui l’aimait, le fit d’emblée secrétaire d’état. Bute fit son premier discours en qualité de premier ministre ; au bout de deux ans, las du pouvoir, il se retira sans motif apparent. Sous les deux premiers Georges, la royauté était en tutelle ; George Ier vivait avec des femmes rapaces et des courtisans qui préféraient l’argent au pouvoir ; George II, flegmatique et lourd, laissa régner Chatham. Seul, George III, plus Anglais et moins Allemand, plus roi que ses prédécesseurs, osa lutter pour sa prérogative. Il n’avait rien du despote, mais il prenait son autorité au sérieux, et voulait secouer le joug des grandes familles. Son esprit comprenait mal les fictions constitutionnelles ; il tenait autant aux apparences du pouvoir qu’au pouvoir même ; il ne permit jamais à ses ministres de s’asseoir devant lui. Il sacrifia Pitt à un scrupule religieux ; sa résistance aux projets de cet homme d’état empêcha la réconciliation de l’Irlande et de l’Angleterre. La guerre d’Amérique fut sa guerre ; tant qu’elle dura, il fut premier ministre avec North. Il lui parle sans cesse, dans ses lettres, de son honneur, de ses droits, de sa dignité ; il menace quelquefois de retourner en Hanovre et de faire armer son yacht. Bien que la politique personnelle du roi n’eût amené que des désastres, il reste assez puissant pour qu’un billet de sa main colporté par lord Temple[1] fit rejeter l’India bill et tomber le ministère de coalition de North et Fox.

  1. « Sa majesté a permis à lord Temple de dire que quiconque doit voter pour l’India bill non-seulement n’est pas son ami, mais sera par lui considéré comme un ennemi, et, si ces paroles ne sont pas assez fortes, le comte Temple pourra employer des mots qu’il jugera plus forts et plus efficaces. » L’India bill ôtait le gouvernement de l’inde à la compagnie, et le donnait à une commission nommée par le parlement.