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aristocratie, il la regarde avec complaisance, comme un père qui, perdu dans une foule et les pieds dans la boue, verrait passer sa fille parée pour le bal.

La nouvelle, réforme n’a pas changé encore le personnel parlementaire. La richesse et l’aristocratie y sont restées souveraines. Le centre de gravité politique a été à peine déplacé. Comme autrefois, on peut définir le parlement « un club d’hommes riches. » Il faut payer une entrée de 2,000 à 5,000 livres sterling (ce chiffre est quelquefois dépassé), et chaque réélection coûte une somme pareille. Il n’y a pas au budget et longtemps sans doute on n’y verra point de chapitre intitulé « appointemens des députés. » L’opinion publique repousse l’idée du député salarié. Les candidats sont donc exclusivement des propriétaires ou fils de propriétaires fonciers, des hommes enrichis dans l’industrie, la banque, le commerce, des gens de loi dont la carrière parlementaire augmente la clientèle. Le titre de député vaut de l’argent à ceux qui sont dans les affaires, mais il faut déjà beaucoup d’argent pour le conquérir. Les hommes de lettres, les journalistes, n’y aspirent pas ; ce serait un luxe trop coûteux. Comment diminuer les frais d’élection ? Plus le droit de suffrage s’étend, plus les frais obligatoires augmentent. La coutume est plus forte que la loi. Il faut qu’un candidat fasse tomber une pluie de Danaé sur son district. A peine sait-il où elle tombe, il ne va pas lui-même corrompre les électeurs ; c’est l’affaire des agens, qui savent toujours, quand on leur demande des comptes, faire des comptes fictifs, réguliers en apparence. Le député n’a point la ressource de promettre des faveurs, comme dans les pays de grande centralisation. Il faut qu’il dépense son propre argent, souscrive pour les écoles, les églises, les asiles, les hôpitaux, les monumens, pour les jeux, pour la chasse. L’ambition paie la dîme. Plus d’un maugrée contre ces terribles impôts, mais personne ne veut que les autres en soient exempts, et l’on achète fort cher la défaite de ses rivaux. Les lois contre la corruption électorale ne font que restreindre le nombre des candidats, car, sur cent personnes qui peuvent acheter un siège, il n’y en a pas beaucoup qui veuillent courir le risque de se voir enlever ce qui a tant coûté. En dépit de toutes les lois, la chambre des communes restera donc une chambre riche. Personne ne veut faire les affaires d’un homme pauvre, économe. S’il s’agit d’un Mill, d’un Gladstone, les électeurs consentiront à se faire eux-mêmes agens électoraux ; ce sont là de rares exceptions. M. Mill avait déclaré qu’il voulait être élu par Westminster sans rien payer : il fut élu, mais son élection coûta 50,000 francs à ses amis.

L’aristocratie n’a plus, comme autrefois, le désir de gouverner