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royale livrées sous George III ne furent que des escarmouches, comparées à celles qui s’étaient livrées sous les Stuarts. Les tories n’étaient plus que les amis du roi. Ils portaient dans les questions extérieures plus d’âpreté et de hauteur, dans les questions intérieures un esprit plus conservateur. La révolution française, en épouvantant le monde entier par ses crimes, l’empire, en l’alarmant par son ambition, rivèrent pour ainsi dire les tories au gouvernement. L’instinct de conservation agit sur les peuples comme sur les individus ; dans les grands périls, les nations se cramponnent, à moins que leurs instincts même ne soient corrompus, à ce qui leur semble le plus ferme et le plus solide. Quand tout succomba en Europe, quand les plus redoutables puissances subirent le joug d’un parvenu couronné, l’Angleterre devint un instant le seul refuge de la liberté, elle resta la seule terre vierge de conquête et d’oppression. Que valaient les généreuses et pacifiques espérances des whigs, quand le monde était livré à la force, quand la guerre restait la dernière ressource de l’honneur ? La vieille constitution anglaise, comme une forteresse, leva ses ponts-levis.

La grande marée conservatrice qui avait englouti la France impériale ne descendit que lentement : le règne des whigs ne recommença véritablement qu’en 1830 ; ils obtinrent une réforme électorale, mais dès ce moment ils paraissent plus préoccupés de modérer le progrès des idées démocratiques que de combattre leurs anciens ennemis. Depuis longtemps, conservateurs et libéraux n’ont plus qu’un objet commun ; ils cherchent à conserver aux classes moyennes la direction de la politique anglaise. S’ils restent divisés, c’est moins pour se nuire que pour ne pas risquer de tout perdre ensemble. A peine peut-on dire que les uns sont plus enclins, les autres plus opposes aux réformes. L’esprit réformateur pénètre l’un et l’autre des partis.

Il y a toujours eu, en dehors des vieux cadres politiques, des groupes irréguliers qui, sans prétendre former un parti de gouvernement, ont exercé une influence considérable sur la marche des affaires en se portant d’un côté ou de l’autre, en déplaçant le centre de gravité des partis, en apportant des idées nouvelles dans le parlement. Les libres échangistes, ceux qu’on a appelés les peelites, ceux qu’on nomme aujourd’hui les radicaux, n’ont jamais constitué des partis véritables, mais ils ont fourni des dogmes nouveaux, des thèses, des doctrines. Ils ont plus de sincérité que d’ambition ; le triomphe de leurs idées leur importe plus que celui de leurs personnes. Il s’établit ainsi comme une sorte d’accord tacite même entre ceux qui journellement se font la guerre. Dans les pays où les partis parlent sans cesse de concorde, on peut dire qu’il n’y a déjà