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Ce système, si grossier, si arbitraire, était la dernière expression de la féodalité ; il laissait le pouvoir aux possesseurs du sol, aux grandes familles. La plupart des députés, directement ou indirectement, représentaient l’aristocratie conquérante. A la fin du siècle dernier, Leeds, Birmingham, Manchester, n’étaient pas représentés ; mais le duc de Norfolk nommait défait 11 députés, lord Lonsdale 9, lord Darlington 7, les ducs de Rutland et de Buckingham 6 chacun. Il y avait à Galton 7 électeurs, 10 à Tavistock, 7 à Saint-Michel ; 70 députés ne représentaient presque personne, 90 députés représentaient en moyenne chacun 50 électeurs, 37 en moyenne 100 électeurs. Il y avait 200 députés nommés par 7,000 électeurs. Jusqu’à la réforme de 1832, 300 députés étaient de fait les élus des pairs, 170 seulement pouvaient être considérés comme tout à fait indépendans. Macaulay se trompe lorsqu’il écrit à propos de cette réforme : « Des villes ont dégénéré en simples villages, des villages ont grandi jusqu’à être des villes, » et lorsqu’il semble croire que les villages électoraux, les bourgs pourris, sont tout ce qui reste de lieux jadis importans. Il y a eu au contraire en tout temps des villages, des hameaux, des solitudes, représentés en tant que villages, que hameaux et solitudes. Le bourg fameux d’Old-Sarum, qui perdit son privilège électoral en 1832, nommait 2 députés et n’avait que 12 électeurs. Ce qui semblait un abus en 1832 ne le paraissait point aux siècles précédens. Les communes représentaient bien l’Angleterre, non pas tel et tel village, telle colline avec ses moutons, ses bergers, ses charrues, mais l’Angleterre. Le droit politique de cette époque était le droit de propriété. Pendant que toute l’Europe passait sous la domination de rois absolus, l’aristocratie anglaise maintenait sa puissance : attachée au sol, elle y puisait la sève de la politique. Qu’importaient les irrégularités, les absurdités du système électoral, si ce système laissait le pouvoir à ceux qui exerçaient sur le pays un patronage incontesté, qui défendaient l’honneur, la religion, la liberté anglaise ? Les grandes familles possédaient des sièges au parlement au même titre que des domaines héréditaires. Le candidat sortait du château avec musique et bannières, il était salué par les acclamations des laboureurs. Les tonneaux de bière étaient défoncés, les tables de bois se couvraient de lourdes viandes. Le député faisait à ses constituans un discours où il s’efforçait de les égayer ; l’élection était une kermesse.

Les bourgs pourris, les bourgs de poche, étaient des bénéfices politiques. Le poète Waller fut député d’Ayesham à l’âge de seize ans. Fox entra en 1768 au parlement à dix-neuf ans comme député de Midhurst, que son père, lord Holland, avait acheté pour lui ; à vingt et un ans, il faisait partie du ministère de lord North.