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lui-même. La révolution, d’abord défensive et faite au nom de la constitution, renverse bientôt le parlement lui-même. Cromwell, devenu protecteur, fit une réforme électorale, des communes nouvelles, une nouvelle chambre haute ; mais ces chambres ni ne furent ni ne parurent jamais assez libres. Au moment de la restauration, le cri universel était « le parlement libre. » La réforme électorale de Cromwell était judicieuse, mais c’était l’œuvre de la violence ; après lui, on retourna au vieux parlement.

L’idée de la réforme du système parlementaire n’était point populaire ; elle ne devait le devenir que dans notre siècle. L’Angleterre était contente de ses communes, quelle qu’en fût l’origine. Ne tenaient-elles pas la royauté en échec ? Ne faisaient-elles pas en 1688 une révolution défensive, qui donnait une satisfaction définitive à toutes les passions, à tous les intérêts du pays ? Tant que les intérêts, tant que les passions dominantes sont représentés dans le gouvernement, on peut dire de ce gouvernement qu’il est représentatif. Au sens où l’on entend ce mot dans les temps modernes, le gouvernement anglais ne l’était point aux siècles derniers ; il commence à peine à le devenir. Dans sa constitution, on trouve ce principe fondamental : les hommes ne sont point représentés, ce sont les corporations, les êtres moraux, villes ou comtés. Un député vaut un député, un électeur ne vaut pas un électeur. Dans l’acte d’Henry VI, il n’est jamais question d’un chiffre quelconque de population. Nulle proportion n’existe encore aujourd’hui entre le nombre de ceux qui élisent et de ceux qui sont élus.

Les premiers parlemens anglais furent en réalité les diètes des grands feudataires ou de leurs délégués. Les villes y étaient représentées en leur qualité de villes libres. Un bourg franc avait une parcelle de souveraineté ; c’était un centre de commerce libre, sans douanes, délivré de péages, de pontage, de droits royaux, administré par une guilde de marchands. Une charte lui accordait le droit de tenir des foires, des marchés, de lever des taxes ; le droit d’envoyer des membres au parlement était considéré comme onéreux, c’était la rançon des libertés municipales. La représentation était un privilège souvent peu envié. La couronne pouvait donner et retirer la franchise électorale ; Henry VIII, Charles II, firent un grand nombre de ces bourgs dits bourgs de nomination. Souvent c’était le simple shérif qui choisissait les villes électorales. Cette prérogative exorbitante du roi ne finit que sous Charles II. Il n’y avait aucune règle fixe pour l’attribution du droit électoral dans les centres d’élection. Ici, tous les hommes libres, freemen, étaient électeurs, ailleurs c’étaient seulement les membres des corporations, les maires et les conseillers municipaux.