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et 11 Romains[1]. Les Romains et les Germains siégeaient donc côte à côte. Ils prononçaient dans chaque procès suivant la loi personnelle du défendeur ; mais ils prononçaient tous, quelle que pût être la race de chacun d’eux. Il pouvait donc arriver qu’un Franc fût jugé par un tribunal composé en majorité de Gaulois.

Il n’y a qu’un cas où les indigènes semblent avoir été traités en inférieurs : c’est lorsque les lois salique et ripuaire prononcent qu’un Romain victime d’un délit ou d’un crime n’a droit qu’à la moitié du wehrgeld qui serait dû au Franc. Toutefois il nous semble que les historiens modernes ont tiré de là des conclusions exagérées. Les Francs, en inscrivant ces inégalités dans leurs codes, n’en disent pas la raison, et il serait difficile de la trouver. Sans essayer de la chercher, nous devons songer qu’il s’agit ici d’un mode de pénalité qui était propre aux Germains, que les Romains ne le connaissaient pas, et qu’il pouvait y avoir plusieurs motifs pour n’en accorder le bénéfice aux Romains que dans une proportion restreinte. Il faut tout supposer ici plutôt que le mépris pour la population indigène, car ce mépris ne perce nulle part dans les codes germaniques eux-mêmes, et il serait en contradiction avec tous les faits de l’histoire de cette époque.

Les Gaulois tenaient le même rang que les Francs dans l’entourage de Clovis et de ses successeurs. Les rois se servaient indifféremment des uns et des autres comme conseillers, comme agens, comme ambassadeurs ou comme soldats. Les fonctions publiques les plus hautes étaient souvent exercées par des Gaulois. Si l’on examinait la liste des ministres, des fonctionnaires, des comtes, des ducs, des patrices au temps des Mérovingiens, on y compterait peut-être plus de Gaulois que de Germains. C’était donc une chose très fréquente que les Francs eussent à obéir à des Gaulois ; or on ne voit à aucun signe que cela ait surpris ou choqué les contemporains.

Le nom de Franc à prêté à des erreurs. Comme il a eu le sens d’homme libre, on a pensé que la liberté n’avait appartenu qu’aux hommes de race franque. Or ce mot ne fut jamais le nom d’une face ni d’une tribu ; simple adjectif que quelques corps de guerriers adoptèrent et dont ils firent une sorte de nom national, il signifiait homme libre autant qu’homme brave, car ces deux qualités se confondaient au point de s’exprimer par un seul mot. Plus tard l’idée de liberté y prévalut ; aussi le mot devient-il, dans les documens de l’époque mérovingienne, synonyme de ingenuus, et c’est le sens qu’il a gardé dans tout le moyen âge. Comme il n’avait pas précisément un sens ethnographique, il a pu S’appliquer sans peine à

  1. Dom Vaissette, Histoire du Languedoc.