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Il est bien vrai que les Gaulois ne se confondirent pas tout d’abord avec les Francs ; mais ils ne furent pas placés vis-à-vis de ceux-ci dans un état de dépendance. Il s’en faut beaucoup que le nom de Gaulois, ou plutôt celui de Romains que ces populations gardèrent, soit devenu un terme de mépris. Les Germains s’appelaient eux-mêmes « barbares, » et appelaient les indigènes « Romains ; » or le nom de Romains paraît avoir été aussi honoré pour le moins que celui de barbares. Les récits des chroniqueurs et les vies des saints montrent en mainte occasion que, dans les relations de la vie ordinaire, les Gaulois étaient avec les Francs sur un pied d’égalité ; on ne voit jamais les uns reprocher aux autres d’être des vaincus.

La population gauloise garda ses lois, qui étaient les lois romaines ; les codes germains ne lui furent jamais imposés. Elle garda sa langue, qui était le latin ; il faut même remarquer que le latin ne se conserva pas comme idiome inférieur et populaire : il fut la langue officielle du pays ; les ordonnances des rois furent rédigées en latin. Lorsqu’on mit en écrit les lois germaniques, ce fut en latin qu’on jugea à propos de les écrire ; du moins, parmi les textes nombreux que nous en possédons, n’en est-il pas un seul qui soit dans l’idiome d’outre-Rhin. On jugera combien cette persistance. de la langue est significative, si l’on songe à ce qui se passa en Angleterre ; la conquête saxonne fit oublier la langue des Bretons, la conquête normande réduisit la langue saxonne à n’être pendant deux siècles qu’un idiome vulgaire. Rien de semblable en Gaule ; l’ancienne langue ne fut ni oubliée ni méprisée, parce que la population ne fut pas asservie.

Si les Gaulois avaient été traités en race inférieure et sujette, il n’est pas probable qu’on leur eût laissé l’usage des armes. Or nous voyons par de nombreux exemples que les Mérovingiens se servirent d’eux comme soldats. Dans les querelles des rois et dans les batailles, les troupes gauloises figurent fréquemment. Il ne paraît à aucun signe qu’elles fussent méprisées. Ces rois confièrent plus d’une fois des commandemens et de hautes dignités militaires à des indigènes, et il est assez curieux que le général le plus habile et le plus heureux du VIe siècle ait été un Gaulois ; il s’appelait Mummolus. Les Gaulois siégeaient dans las tribunaux au même titre que les Francs. Ce qu’on appelait mall en langue germanique et conventus en langue latine était composé des deux populations. Les juges s’appelaient rachimbourg dans une langue et boni viri dans l’autre. Ils étaient indifféremment de l’une et de l’autre race ; les Francs n’y étaient en majorité que dans le cas où ils formaient la majorité des propriétaires d’un canton. On a conservé un acte qui montre un tribunal composé de 18 juges, dont 4 Goths, 3 Francs