sa jouissance ; seulement il ne pouvait la vendre qu’à l’ancien propriétaire romain. On voit que cet ensemble de transactions n’a rien de commun avec ce que ferait un peuple conquérant qui s’emparerait de toutes les terres d’un pays et se les partagerait. Le même code mentionne des Burgondes qui ne sont pas seulement hôtes, mais qui sont propriétaires ; leurs propriétés viennent toutes d’une source unique, « les largesses des rois, » ce qui signifie qu’elles viennent toutes du domaine fiscal, dont les rois ont distribué une partie à leurs soldats, à leurs amis ou à leurs fonctionnaires. Jamais il n’est fait mention de propriétés acquises en vertu de la conquête et par un partage du sol des vaincus.
Les Germains, en s’établissant en Gaule, ne firent que ce qu’il était naturel qu’ils fissent ; leurs chefs, par cela seul qu’ils succédaient aux préfets du prétoire et à tous les agens de l’autorité romaine, prirent pour eux toutes les terres du fisc. Le partage, s’il y en eut un, ne put porter que sur ces terres-là ; elles ne furent même pas distribuées toutes aux guerriers germains. Les chartes et les diplômes du temps prouvent qu’une très grande part en fut donnée aux églises. Le reste fut concédé peu à peu à des particuliers ; encore pouvons-nous croire que ces dons des rois tombèrent indistinctement sur des Gaulois et sur des Germains, car dans la classe des antrustions ou convives du roi il y avait des hommes des deux races, et les dons de terre récompensaient indifféremment les services de toute nature. Quant aux terres qui étaient, au temps de l’empire, propriétés privées, rien ne fut changé à leur condition. Sauf des violences isolées que le désordre de l’époque explique suffisamment, elles demeurèrent aux mains de leurs anciens maîtres. Une foule d’anecdotes rapportées par les chroniqueurs, un grand nombre d’actes de donation et de testament qui ont été conservés, prouvent que les habitans du pays restèrent propriétaires. Leur droit fut formellement reconnu et inscrit dans les lois ; les codes germaniques qui furent rédigés à cette époque assurèrent les mêmes garanties et la même protection légale à la propriété du Gaulois qu’à celle du Germain.
On ne peut donc pas admettre comme une vérité historique qu’un grand déplacement de la propriété foncière se soit opéré par l’effet de l’invasion germanique, et on ne doit pas croire non plus que les terres nobles qu’il y a eu dans tout l’ancien régime aient pour origine le droit de l’épée. Les seigneuries ne viennent pas de la conquête.