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ils sont infiniment plus anciens qu’elle. Il y avait des esclaves chez les Gaulois, il y en avait de même chez les Germains. Les esclaves de la Germanie appartenaient si complètement à leur maître, que celui-ci pouvait les vendre, et qu’il pouvait même les tuer impunément. Quant au servage de la glèbe, forme adoucie de l’esclavage, il était également en vigueur des deux côtés du Rhin. Les Germains avaient dès le temps de Tacite, outre leurs esclaves proprement dits, « une espèce particulière d’esclaves qui, placés à demeure sur un champ, devaient à leur maître une redevance déterminée en grains ou en bétail. » Ils appelaient ordinairement ces hommes du nom de lites. Quand les Germains entrèrent en Gaule, ils amenèrent derrière eux leurs lites et leurs esclaves. Leur établissement n’eut pour effet ni d’asservir les hommes libres gaulois ni d’affranchir les serfs germains. Les codes germaniques eux-mêmes parlent des esclaves barbares et des lites, et nous les montrent soumis aux mêmes conditions à très peu de chose près que les esclaves et les colons d’origine gauloise. De même qu’il y eut des hommes libres dans les deux populations indifféremment, il y eut aussi des esclaves de l’une et de l’autre race. Le servage de la glèbe n’est pas le résultat d’une conquête ; il n’a pas non plus pesé exclusivement sur la race gauloise.

C’est une opinion assez répandue que les guerriers germains ont dépouillé les Gaulois de leurs terres. Si le fait est vrai, voici les conclusions qu’on en doit tirer : les domaines seigneuriaux du moyen âge ont été des terres arrachées aux vaincus par le droit de l’épée ; ces vaincus ne sont rentrés dans une demi-possession de leur sol qu’avec le nom de vilains et sous la dure condition des redevances et des corvées ; la révolution de 1789 leur a enfin rendu la possession complète de ce que la violence leur avait autrefois enlevé. Telle est en effet la façon dont quelques historiens présentent l’ensemble de notre histoire. Elle n’est juste qu’autant qu’il est établi que les Gaulois ont été primitivement dépouillés de leurs propriétés foncières. Ce problème historique mérite bien qu’on l’examine.

Il est hors de doute que les guerriers germains n’étaient venus en Gaule que pour acquérir des terres. Cependant, comme ils y entraient à titre de soldats de l’empire, on ne voit pas bien quel prétexte ils auraient eu pour s’emparer des terres des habitans. Aucun historien contemporain ne mentionne ce fait, qui ne pouvait pourtant passer inaperçu. Jornandès n’en dit rien. Sidoine Apollinaire et Salvien montrent bien qu’il y a eu des actes de cupidité et des violences brutales ; mais ils ne parlent point d’une spoliation générale et systématique. Ils décrivent la vie intime de leur époque et sont fort loin de dire que leur race ait été réduite à la misère. Ils