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tentés pour le décider dans ce sens. Il veut seulement éviter la participation des étrangers. S’il fait des télégraphes et des chemins de fer, il s’en chargera lui-même ; il attendra pour le faire qu’aucune pression ne soit exercée sur lui, et qu’il soit assuré d’agir librement. C’est dans ces conditions que se sont créés les arsenaux et les usines que la Chine possède maintenant. Dans ces idées, et avec le peu de ressources dont le gouvernement chinois peut disposer pour les travaux publics, l’établissement de voies ferrées marcherait avec une extrême lenteur. Les coutumes sociales et religieuses y apporteraient aussi de nombreux obstacles. Il faudrait enlever à des familles les champs qu’elles possèdent depuis des siècles ; il faudrait détruire des tombeaux, sanctuaires vénérés qui perpétuent les traditions et les gloires ; il faudrait percer ou abaisser des collines, asiles de génies malfaisans ou protecteurs. Cependant aucun de ces obstacles n’est insurmontable ; l’expropriation pour cause d’utilité publique a cours en Chine comme en France. L’empereur peut décider une famille à déplacer ses tombeaux en lui désignant un autre endroit par décret ; enfin les bonzes ont à la disposition du public les pratiques nécessaires pour conjurer la malveillance des génies : si ces derniers ont été dérangés sur un point, l’oracle indiquera la nouvelle résidence qui peut leur plaire et les cérémonies qui peuvent conjurer leur courroux. Nous en avons fait l’expérience dans un établissement du gouvernement chinois placé sous notre direction. Il nous fallait un terrain assez important que les paysans ne voulaient pas vendre. Le vice-roi qui résidait dans la localité vint lui-même en grand apparat leur faire entendre raison ; ils l’écoutèrent, les champs furent achetés et libéralement payés. Il fallut ensuite remblayer le terrain au moyen de terres prises dans les montagnes voisines. Dans cette opération, des tombeaux furent profanés. Les génies qui rôdaient à l’entour ne pouvaient manquer d’entraver l’entreprise naissante ; ce danger fut signalé par un soldat tombé en syncope et parlant au nom d’un génie qui s’était incarné en lui. Les mandarins prirent cet homme au sérieux et exécutèrent ce qu’il conseilla ; ils firent une grande cérémonie de purification qui dura trois jours et fut précédée par un temps d’abstinence ; ils construisirent des autels pour y attirer les génies et leur assigner un nouveau lieu de rendez-vous. « Il faudra, dit le soldat, mettre auprès de ces autels de la monnaie d’or et d’argent (c’est du papier doré ou argenté) pour qu’ils trouvent de quoi jouer, et ne pensent plus à vos travaux. »

Les rapports des différentes ambassades ou missions chinoises envoyées en Occident ont dû éclairer le gouvernement sur les bénéfices des transports rapides ; ce qui aura surtout une influence