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une fois par semaine les plus sombres et les plus redoutables perspectives. Un jour, la Prusse et la Russie vont être aux prises infailliblement d’ici à peu, il n’y a point à en douter ; la Russie se met en défense, M. de Moltke fait apprendre la langue russe aux officiers prussiens. Un autre jour, c’est avec l’Autriche que l’Allemagne va engager la lutte ; le duel est inévitable, et l’issue est déjà prévue. Naturellement la France, qui est dans une situation particulière vis-à-vis de l’Allemagne, n’est point oubliée dans toutes ces combinaisons, qui se succèdent et s’entre-croisent. Eh ! sans doute l’Europe n’est point dans les meilleures conditions possibles.

Quand l’esprit de conquête et la force se sont déchaînés et ont fait leur œuvre dans un coin de cet univers civilisé, il n’y a plus de sécurité nulle part. On s’en aperçoit un peu tardivement ; on finit par croire à tout parce que tout est possible, parce que les excès de domination et de prépondérance s’engendrent invinciblement. Cela ne veut pas dire que le feu soit déjà aux quatre bouts de l’Europe, et que la Prusse, même après ses succès, en soit à prendre le ton et les allures qu’on lui prête, pas plus avec la France qu’avec d’autres, à marquer sur ses horloges l’heure fatidique de la chute des empires et des peuples. Que n’a-t-on pas colporté pendant quelques jours dans toutes les gazettes du continent ! Avec un peu de bonne volonté, on pouvait croire assurément aux complications les plus menaçantes, à un de ces essais d’intimidation qui conduisent à des ruptures inévitables, s’ils ne restent pas un impuissant et inutile abus de la force, un acte d’arrogante ostentation. Un journal anglais, le Daily Telegraph, avait reçu la nouvelle de son correspondant de Berlin, aucun détail ne manquait. M. de Bismarck préludait décidément à de nouveaux exploits par une de ces campagnes diplomatiques qui lui sont familières. Les efforts que fait la France pour sa réorganisation militaire, le chiffre de notre budget de la guerre, tout cela inquiétait le chancelier de Berlin, qui ne trouvait rien de mieux que d’expédier un ultimatum à Versailles. C’était M. d’Arnim qui, à son retour en France, après être allé à Rome remettre ses lettres de rappel comme ancien ambassadeur auprès du saint-siège, devait être chargé de cette mission de confiance et surtout de conciliation auprès du gouvernement français. Ce qui avait particulièrement exaspéré M. de Bismarck, disait-on, c’était le discours prononcé par M. Thiers à la veille des vacances de l’assemblée, discours où M. le président de la république, tout en professant la politique la plus désintéressée, la plus pacifique, attestait une fois de plus la volonté persévérante de poursuivre la réorganisation de l’armée française.

Le coup était assez bien monté pour faire un instant quelque impression, pour laisser dans les esprits cette idée banale et éternelle qu’il devait tout au moins y avoir quelque chose. Par le fait, il n’y avait rien. Le