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demander avec équité que, si un Anglais commet un crime ou un délit à 50 lieues d’un port, les autorités chinoises aient à expédier délinquant, témoins et preuves nécessaires au consul de ce port, pour que justice soit faite ? Il y aurait bien un moyen d’atténuer les inconvéniens de l’exterritorialité : ce serait de composer un code spécial disciplinaire pour les étrangers établis à l’intérieur, et de le laisser appliquer par les mandarins, en donnant aux intéressés pouvoir d’appel devant un tribunal mixte réuni dans le port le plus voisin. Ce code les garantirait de la torture et d’autres procédés qui ne sont plus de notre temps. On ne délivrerait le permis de résidence qu’à des individus présentant des garanties de bonne conduite et parlant assez bien la langue chinoise pour pouvoir soutenir une conversation ordinaire et ne pas être à la merci d’un interprète chinois. Malheureusement les résidens étrangers bondiraient d’indignation à l’idée de devenir passibles de la justice chinoise.

Il faut bien dire encore que les Chinois ne se soucient pas de voir les étrangers se mêler aux habitans de l’intérieur, où ils apporteraient des idées qui ne s’accordent ni avec la loi et le système gouvernemental de la Chine, ni avec les pratiques ordinaires des mandarins. L’indigène pourrait apprendre d’eux à résister aux exactions et aux vexations ; il pourrait entrevoir les théories de l’Occident sur les avantages d’une représentation nationale, sur les droits du contribuable à voter les taxes qu’il paie. On voit généralement, dans les ports, les Chinois au service des Européens prendre au bout de quelque temps leurs autorités nationales en dédain. Ils ne suivent plus les coutumes séculaires de l’empire, leurs femmes circulent dans les rues ; les vieux Chinois en frémissent d’horreur. Ces gens qui commencent par être domestiques, deviennent courtiers des maisons qui les emploient ; beaucoup d’entre eux arrivent à la richesse, et sont alors pour leurs compatriotes des notables dont l’exemple est pernicieux. Que deviendrait la société chinoise, si le contact des Européens allait transformer de cette façon les populations de l’intérieur ?

Aussi les Européens sont-ils parqués dans les ports. Ils ne trouveraient pas à acheter, en dehors des limites qui leur ont été prescrites, un pouce de terrain à des conditions convenables. Cette espèce de claustration rend certainement dix fois plus pénible aux Européens le séjour des ports chinois. A Shanghaï, on leur a laissé faire, en dehors de la concession, des routes atteignant la longueur de quelques milles ; près des autres ports on ne trouve que les sentiers chinois, sur lesquels il est souvent fort difficile de passer deux de front, et cependant, sous un climat affaiblissant, il faudrait de larges voies pour monter à cheval, se promener en voiture et