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pour le procurer, et tous ceux qui ont pris des liaisons avec elle doivent redoubler de zèle pour concourir à la perfection de son ouvrage. » Dans cette lettre peu fière, Dubois triomphait, sans mesure et sans prudence d’un succès remporté par des amis de la veille, nos éternels rivaux. A force d’abonder dans son propre sens, il s’était infatué de l’alliance anglaise au point d’en avoir le cœur anglais. S’applaudir de l’entière destruction de la marine espagnole et de la supériorité marquée de l’Angleterre six ans après la guerre de la succession, ce n’était ni d’un patriote ni d’un homme d’état : à défaut du sentiment français, la prévoyance, cette lumière du génie diplomatique, aurait dû l’avertir et le modérer. Nous touchons ici le point faible, ou plutôt le côté personnel et étroit de la politique de l’abbé Dubois ; c’est le moment de résumer avec précision l’idée que nous laissent ces nombreuses dépêches dont nous avons donné une exacte analyse.

Nous avons à peine besoin de le dire, ce n’est pas la moralité privée de l’abbé Dubois, ni son ambition ecclésiastique que nous voulons juger. Le précepteur du régent, l’archevêque de Cambrai, le cardinal, restent en dehors de cette étude ; sur aucun de ces points, nous n’avons à intervenir entre ses détracteurs et ses apologistes et à nous prononcer. Le diplomate seul est en cause ; c’est le négociateur des traités de Londres et de La Haye que nous avons étudié dans son œuvre, et fait paraître dans son vrai génie, en l’éclairant de documens certains. Sans franchir ces limites, sans excéder la juste portée de ce travail, quelle opinion est-on fondé maintenant à exprimer sur le talent et le caractère de l’abbé Dubois ?

Il faut d’abord écarter, selon nous, ce reproche infamant de vénalité dont l’a chargé Saint-Simon, l’ancien admirateur de sa politique, transformé en ennemi par les ressentimens d’une vanité d’autant plus implacable que les griefs en étaient plus légers. Nous avons vu Dubois dans la situation d’un corrupteur bien plus que d’un corrompu, et en supposant même qu’on l’ait tenté, à la fin, par quelqu’une de ces faveurs lucratives que ne dédaignait point la diplomatie, nous croyons qu’il l’a refusée, et, si l’on veut, nous ferons honneur de ce désintéressement, non pas à son caractère, mais à son esprit. Dubois était trop avisé pour risquer de se perdre auprès du régent, et de donner une telle prise contre lui à l’acharnement de ses ennemis par une faiblesse dont le secret eût certainement transpiré. Vieux et malade, sa vraie ambition, dans ce déclin trop visible et pendant ce peu de jours qui lui sent mesurés, ce n’est pas l’argent, c’est le pouvoir. Une fois maître des affaires, il entasse les biens avec les dignités pour soutenir l’éclat de ses