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Au milieu de l’été de 1718, au moment où Dubois suivait à Londres la trace des menées espagnoles en France, les résultats déjà mûrs de sa politique patiente faillirent sombrer dans une dernière tempête. L’empereur avait promis son adhésion au traité ; mais Albéroni, poussé à bout et comptant sur un coup de force à Paris comme en Sicile, refusa formellement la sienne : les illusions conservées jusqu’alors sur la possibilité d’un accommodement se dissipèrent ; il devint manifeste que le premier fruit de l’alliance anglaise serait pour la France une guerre avec l’Espagne, et l’idée de s’armer contre un petit-fils de Louis XIV révoltait les plus indifférens. En quelques jours, Dubois reperdit dans l’opinion le terrain qu’il avait péniblement conquis ; il sentit, cette fois encore, chanceler son maître, étourdi de tant de clameurs et sincèrement affecté lui-même de l’apparence fâcheuse du rôle qu’on lui préparait. A la fin de juin, tout semblait remis en question. « Je suis outré de douleur, écrivait Chavigny, et je ne vous dis pas la centième partie de ce que j’ai sujet de penser. Il y a longtemps que je suis familiarisé avec les sujets d’affliction ; mais aucun ne m’a jamais tant touché que ce qui se passe en ce moment. » Cédant aux instances de Dubois, Stanhope paya de sa personne et vint en France sauver l’œuvre commune. Il apportait au régent cette lettre du roi : « Mon frère et cousin, ayant trouvé à propos, dans cette conjoncture délicate, de faire partir incessamment le comte Stanhope, un de mes principaux secrétaires d’état, je l’ai chargé de vous renouveler de la manière la plus forte les assurances de mon amitié et de mon estime très parfaite pour votre personne. Il vous expliquera plus au long, avec le comte Stair, le sujet de son voyage et mes sentimens sur la grande affaire à laquelle nous travaillons ensemble pour le bien de l’Europe. Je me persuade que vous apporterez toutes les facilités possibles à l’accomplissement d’un ouvrage si nécessaire, et je vous prie d’ajouter une entière foi à ce que ledit comte vous dira de ma part, et principalement aux assurances que je lui ai ordonné de vous faire de mon amitié constante et de la sincérité très particulière de mes sentimens pour vous. »

Flatté et rassuré par cette marque publique des intentions du roi et par l’effet produit sur l’opinion, le régent accueillit Stanhope avec une joie qu’il ne chercha pas à dissimuler ; toutes les difficultés s’évanouirent, même au conseil de régence, et une convention préliminaire fut signée le 17 juillet. Ici encore Chavigny est le fidèle narrateur des incidens qui signalèrent cette conclusion, et des sentimens qu’elle fit éclater dans les deux camps. « Le Voyage de M. Stanhope est notre salut. Son altesse royale est ravie de le voir arriver ; il lui est échappé plus de dix fois des exclamations de joie. — Son altesse royale nous a dit de vous mander que