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mais digne de la couronne ; en toute affaire d’importance, le duc vaniteux n’a jamais vu que les surfaces et la plus légère écorce : il ignorait ici le fin des choses, la raison cachée, moins noble, il est vrai, que les motifs qu’il fait valoir. En payant le prix demandé pour le Régent, on avait acheté du même coup l’adhésion tacite d’un chef de parti au traité de La Haye ; le silence de l’opposition dans la chambre des communes était le pot-de-vin du marché. Chavigny, par ses fonctions diplomatiques, avait accès auprès du régent et du monde officiel ; il y prenait, comme on dit, l’air du bureau, et composait de tout ce qu’il avait entendu des rapports volumineux qu’il adressait à Dubois chaque semaine. Désigné pour la prochaine vacance du poste de ministre à Gênes, il s’évertuait, se faisait de fête, jaloux de plaire à un homme dont il avait le secret et qui étendait visiblement sa main sur le portefeuille des affaires étrangères. Il travaillait pour Dubois avec l’âpreté fidèle d’un subalterne assuré d’avoir sa part des dépouilles au lendemain du succès. « Hier, j’ai eu audience de M. le régent. — Oh ! m’a-t-il dit, l’abbé a bien de l’esprit et me sert bien ! — Et comme, en parlant de vos envieux et de leurs intrigues, j’ajoutais que c’est sans doute votre esprit et votre zèle qui les offusquent, son altesse royale a répondu : — Vous l’avez dit. — Là-dessus, M. de Nocé m’a appuyé et a fait merveille. Je suis persuadé, monsieur, qu’à votre retour vous serez le maître absolu dans cette cour. J’ai causé aussi avec M. d’Argenson, qui m’a assuré de son dévoûment pour vous, et qui m’a dit : — Oh ! M. l’abbé est bien avec le maître, ce qui s’appelle bien. Il peut avoir toutes les vues qu’il voudra. » Sur les indications que lui envoyait Dubois, Chavigny visitait Saint-Simon, Torcy, Tallard, Villeroy, personnages favorables à l’abbé ou déclarés contre Huxelles. Il conférait avec eux, s’ingéniait, en diplomate de la bonne école, à les faire causer, à mettre en verve la rancune ou l’orgueil de ces merveilleux seigneurs. Répandu dans les meilleurs endroits de Paris, il écrivait la gazette politique des salons, et traçait de minutieuses peintures de l’opinion, sans oublier même les détails fâcheux, lorsqu’ils avaient chance d’être utiles. Si Chavigny dit vrai, Saint-Simon était de feu pour Dubois et sa politique en 1718. « M. le régent ayant demandé à M. de Saint-Simon ce qu’il pensait de la négociation, il a répondu que tout ce qu’il en avait appris par morceaux était bon. Il vous rendit beaucoup de justice. Vous pouvez être sûr qu’il ne tiendra qu’à vous que vous soyez lié plus étroitement avec lui. M. de Saint-Simon est fort de vos amis et de vos plus zélés partisans ; il adore votre besogne et ne cesse de la prêcher à son altesse royale. Il m’a dit qu’il était votre ancien ami, qu’il vous assurait de sa reconnaissance et de son dévoûment. » Saint-Simon « adorateur de la besogne » de Dubois ! quel trait de