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tirer la pièce ou les pièces qu’il jugera à propos ? » Entre l’oncle et son prudent neveu s’engagent des dialogues dans le genre de celui-ci :

« LE NEVEU. — Votre vin de Bourgogne se gâte, il file comme de l’huile.

« L’ONCLE. — Je ne comprends pas la vidange de mon vin de Xérès.

« LE NEVEU. — J’ai prié, selon votre ordre, M. le premier président de Bordeaux d’acheter pour vous six pièces de vin de Pontac, que l’on préfère au plus excellent vin de Champagne.

« L’ONCLE. — Ayez grand soin de remplir les tonneaux de vin de Tokay avec des cailloux bien lavés. »

Après la cave, la garde-robe ; autre sujet d’activé correspondance et parfois de controverse. Dubois était débarqué à Londres sans habit et sans carrosse ; or il avait besoin de faire figure à la naissance très prochaine d’un fils du prince de Galles. « Je vous recommande avec instance mon carrosse, faites en sorte que tout soit du meilleur et du plus beau. Priez le tailleur, M. Coche, de m’envoyer un justaucorps et une culotte de velours violet, avec une veste et des manches qui relèvent sur l’habit, d’une belle étoffe à son choix. Dès qu’il sera fait, il faut mettre un peu de poudre sur les épaules, comme s’il avait été porté. Ne perdez pas de temps. » Le neveu répond : « J’ai remis au messager une boîte couverte de toile cirée qui contient votre habit de velours, avec l’étoffe d’or pour les manches ; l’un et l’autre sont très beaux et très chers. On a mis à l’habit des boutons et des boutonnières d’or, quoique vous ne le marquiez pas, parce que autrement il aurait été trop simple. Vous trouverez aussi dans la boîte un paquet de cure-dents à la carmeline et votre cachet d’or. » Ce bel habit, dont l’étoffe coûtait 105 francs 12 sous l’aune, ne suffisant pas, l’ambassadeur en demande un autre moins façonné, et en même temps une tabatière avec 4 livres de tabac. « Faites-moi faire un habit de camelot violet pour ne pas porter toujours le même. Les souliers que vous m’avez envoyés sont trop pointus, et la semelle en dedans est si raboteuse que je n’ai pu m’en servir ; d’ailleurs ils sont très mal faits, car une partie du talon est beaucoup plus en arrière que le pied. Si vous savez où je prends du tabac à râper, qui est dans une boutique à l’entrée de la place Dauphine, je vous prie de m’en envoyer 4 livres. » — « On vous a acheté, monsieur, écrit le neveu, votre tabac et une tabatière d’or qui a coûté 631 livres. »

Ceux qui ont le goût réaliste et qui se plaignent que l’histoire, idéalisant ses personnages, nous les montre toujours en scène, solennels comme des héros de tragédie, ne peuvent adresser ce reproche à la correspondance de l’abbé Dubois : les petits côtés de la