Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/171

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de m’avoir donné cette marque de l’honneur de votre confiance que si vous m’aviez fait cardinal. » Nul doute qu’il n’ait désigné à son ambition, dès 1717, le but suprême vers lequel il lui fallait se hâter pour achever dans la gloire et la puissance les restes d’une vie usée, dit-on, par les plaisirs, et qui ne se soutenait plus, à travers mille maux, qu’à force d’abstinences. Vers la fin de la négociation, quand le succès paraissait assuré, le régent avait aussitôt songé à récompenser le négociateur. Il chargea Nocé de le sonder là-dessus ; Dubois répondit : « Si M. le duc d’Orléans veut me faire quelque plaisir, tâchez de lui insinuer que ce ne soit pas de la guenille, » et il demanda la liste des bénéfices vacans, pour joindre le solide au brillant, et soutenir le rang qu’on lui destinait. Pressé de jouir et d’arriver, toute proie lui sera bonne ; son âpreté sans pudeur aura l’air de saccager les dignités que son talent et ses services, à défaut du caractère, semblaient mériter.

L’avant-goût des honneurs qui l’attendaient lui vint de l’étranger. Rien ne manquait à l’éclat d’un événement qui, déplaçant le pivot séculaire de la politique européenne, changeait en force et en sécurité pour la France la cause permanente de ses craintes et de ses dangers. Après une longue résistance, l’antipathie invétérée de la Hollande avait cédé sous la pression de Stanhope et du roi George ; peut-être aussi que l’argent, cet auxiliaire suspect des victoires diplomatiques, n’était pas étranger au miracle d’une conversion unanime et solennelle. Dubois fait un portrait de l’esprit public en Hollande qui est loin de démentir notre supposition : « il n’y a pas ici trois hommes qui soient déterminés par le motif du bien général, et dans ce pays comme ailleurs le grand nombre se gouverne par l’intérêt particulier, par l’envie, par la haine et par les autres passions. » À ce l’enseignement, le régent se hâte de répondre : « Dites bien à MM. les ministres que, si l’alliance se fait, ils ne se repentiront pas d’y avoir contribué. » Quoi qu’il en soit des ressorts mis en œuvre, l’importance du résultat paraissait seule et couvrait tout. Dubois recevait, au nom de la France, les complimens officiels de l’Angleterre et de la Hollande, et se montrait en public avec le faste d’un ambassadeur, avec le prestige de l’habileté heureuse, au milieu des démonstrations qui accompagnent les amitiés récentes. Ce n’était plus l’émissaire déguisé, blotti dans le coin d’une auberge, aux portes d’une écurie, en guettant l’occasion ; il avait une suite, des laquais, un cuisinier, force domestiques, un carrosse de gala et à son tour un équipage. « J’ai acheté six belles jumens noires, écrit-il à Noce, et je vous rapporterai le tabac le plus doux que je pourrai trouver. » Il se prodiguait en visites, en réceptions, en festins, « tout en n’ayant que la peau sur les os, » poussait la complaisance « plutôt que la gourmandise