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l’objet de l’animadversion. Les passions religieuses ont été tellement excitées dans quelques communes que le conseil municipal a refusé à l’instituteur le misérable supplément de traitement qui lui est nécessaire pour ne pas mourir de faim. La presse départementale ne manque pas d’envenimer la lutte. Nous avons sous les yeux les plus furibondes déclamations contre l’instruction obligatoire. Il faut louer le gouvernement d’avoir défendu par une circulaire très nette aux instituteurs laïques d’entreprendre un contre-pétitionnement.

Peut-on imaginer une tentative plus insensée que cette campagne contre l’instruction obligatoire ? On aurait voulu froisser et exaspérer le sentiment national que l’on n’aurait pu mieux faire. Les tambours français battaient encore dans les rues de Berlin que Fichte faisait entendre son éloquent appel à la nation allemande en faveur de l’instruction obligatoire. La France entend le même appel par la voix même des événemens terribles qui ont dissipé ses illusions. C’est le moment choisi par l’ultramontanisme pour l’arrêter dans son élan, la river à son passé, et l’empêcher de rien entreprendre d’efficace en fait d’enseignement public.

Notre intention n’a point été de traiter en elles-mêmes les graves questions de politique étrangère ou intérieure que nous venons d’aborder. Il s’agissait simplement de caractériser par des faits précis les efforts actuels du parti clérical. Il serait facile de fournir bien d’autres preuves de sa tendance à exploiter nos malheurs pour reconquérir le pouvoir politique. Toutes les positions importantes dans la société sont l’objet d’un siège régulier, quand elles ne peuvent être emportées d’assaut. Après l’instruction viendra l’assistance publique, dont l’organisation est étudiée présentement par une commission formée à peu près dans le même esprit que la commission pour le projet de loi de M. Jules Simon. L’intervention directe du clergé dans les élections est approuvée hautement par l’extrême droite, qui applaudit avec enthousiasme quand un député vient dire qu’il siège à la chambre en tant que catholique. Si l’on n’y prend garde, et pour peu que l’on suive cette pente, nos institutions seront absolument faussées ; mais, comme l’esprit public ne marchera pas du même pas dans la voie rétrograde, nous arriverons prochainement à ces conflits entre la légalité et la réalité des choses qui ramènent les catastrophes. Voilà pourquoi il est nécessaire de signaler et de combattre de toute son énergie la tendance fatale qui se développe sous nos yeux. Il ne s’agit pas des intérêts de tel ou tel parti religieux triomphant des fautes de ses adversaires. Triste et coupable triomphe que celui qui consisterait à se féliciter de ce qui divise et abaisse la patrie ! C’est d’elle seule que nous sommes préoccupés dans cette période tourmentée et