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qualités charmantes et de brillans défauts sans aucun de leurs vices. Il fut égal aux plus héroïques par le courage, aux plus humains par la bonté, aux plus magnifiques par le faste. Son père Jean ne combattit pas mieux ni plus longtemps à Poitiers, car ce fut à cette journée néfaste qu’il gagna son surnom de Hardi en continuant à frapper aux côtés du roi lorsque la bataille était déjà perdue. Aussi bon que brave, le cœur lui faillit le jour où on lui proposa le sinistre projet que son fils devait mettre à exécution pour le malheur de la France, le meurtre du duc d’Orléans, et on le vit tourner brusquement les talons en répétant à haute voix le verset du psalmiste : « heureux l’homme qui n’est pas entré dans les conseils des méchans. » Quant à sa libéralité, elle fut telle qu’elle l’appauvrit complètement, et que sa veuve, la pratique Marguerite de Flandre, refusa nettement de payer ses dettes, et laissa l’honneur de cette liquidation à son fils Jean sans Peur. Mais comme il avait aimé les arts, et comme il avait généreusement payé les émotions qu’il leur devait ! comme il avait pourchassé avec ardeur les livres rares, et comme ses fêtes avaient été somptueuses ! Sympathique jusque dans ses défauts, il est au nombre de ces hommes qu’on a toujours envie de justifier, et pour lesquels la mémoire retrouve sans efforts les sentences de morale indulgente qui ont été célèbres, cette boutade de Luther par exemple : « celui qui n’aime ni le vin, ni les femmes, ni le chant, celui-là est un sot et le sera sa vie durant. » Or, si Philippe passe dans l’histoire pour un prince chaste et continent, il passe en revanche pour avoir été amateur effréné de musique. On voit son buste sur la haute cheminée de la salle des gardes au musée de Dijon, la salle même où se tenaient les banquets des ducs, et sa statue agenouillée en face de celle de sa femme, Marguerite de Flandre, à l’entrée de la chapelle de la Chartreuse. Je n’ai jamais contemplé avec plus de plaisir une effigie princière. Le visage, qui est loin d’être beau, possède un attrait irrésistible. De grands yeux spirituels à l’excès, une physionomie qui est comme resplendissante de gaîté, des traits où se lisent la cordialité, l’affabilité, la franchise, la bonté native, la bonne humeur malicieuse, et dont pas un n’exprime une tortuosité d’âme, une bassesse d’inclination, une déloyauté de nature, voilà Philippe le Hardi. Tel nous le représentent les effigies de sa personne vivante, et tel nous le montre encore l’effigie funèbre étendue par son imagier Claux Slutter sur la table de marbre noir de son tombeau.

Le temps des grandes fondations ecclésiastiques n’était pas encore tout à fait passé à cette époque, et Philippe fit construire aux portes de Dijon une chartreuse dont les moines relevaient directement de lui, et qu’il avait destinée à être la sépulture de sa famille.