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tent l’Angleterre comme ils agitent d’autres pays, cela n’est point douteux ; rien ne le prouverait mieux au besoin que ces grèves qui viennent d’éclater là où on ne les avait pas vues jusqu’ici, dans les contrés agricoles. Le mouvement a commencé dans le Warwickshire, il s’est étendu dans le Buckinghamshire, dans le Lincolnshire. Les ouvriers ruraux demandent une diminution des heures de travail, une augmentation des salaires, qui ne dépassent guère 10 ou 11 shillings par semaine, et, si on ne fait pas droit à leurs réclamations, ils menacent d’émigrer. D’un autre côté, les fermiers ont des baux avec les propriétaires, les salaires qu’ils paient sont proportionnés aux prix de leurs fermages. La difficulté est de sortir de là. La France, qui est bien autrement remuée que l’Angleterre par ces problèmes, a du moins cet avantage de posséder une classe de paysans pauvres sans, doute, mais intéressés au sol, propriétaires en même temps qu’ouvriers. Au-delà de la Manche, la propriété est concentrée en quelques mains, et au-dessous s’agite un vaste prolétariat rural qui, s’il venait à s’allier avec le prolétariat des villes, serait à coup sûr un redoutable élément de perturbation. À travers ces grèves du Warwickshire, c’est la question même de la constitution territoriale de l’Angleterre qui apparaît. Seulement l’Angleterre a le génie et la sagesse des réformes opportunes, elle a même la faiblesse de ne pas songer à la république pour se tirer de tous les embarras. La république a voulu dans ces derniers temps lever son drapeau jusque dans le parlement, et elle a été reçue avec une irrévérence vraiment décourageante. Ces jours passés encore, un homme prévoyant s’est avisé d’offrir la première présidence de la future république anglaise à M. John Bright, qui est ministre du commerce dans le cabinet Gladstone, et M. Bright, malgré ses vieilles opinions radicales, a pris un ton moitié grondeur, moitié humoristique pour renvoyer son correspondant et la république « aux arrière-neveux. » D’ici là, on verra.

La république sera-t-elle plus heureuse en Espagne, et son orateur le plus brillant, M. Castelar, qui vient de parcourir les provinces, qui, lui aussi, fait des discours, M. Castelar a-t-il réussi à lui faire des prosélytes ? La question, à vrai dire, n’est point absolument tranchée par les élections qui viennent d’avoir lieu. Ces élections agitées, entremêlées de scènes violentes, ont été une véritable bataille où le gouvernement ne s’est pas montré beaucoup plus scrupuleux que l’opposition. L’arbitraire, semblable au fleuve républicain de M. Gambetta, a coulé à pleins bords. Les camps étaient d’ailleurs fort tranchés, aussi tranchés qu’ils puissent être au milieu de la confusion qui règne en Espagne depuis quelques années. D’un côté, le gouvernement combattait pour son existence, si bien qu’une défaite laissait évidemment la monarchie constitutionnelle représentée par le roi Amédée dans l’alternative de disparaître ou d’en appeler à quelque coup d’autorité sommaire. Dans l’autre camp était une coalition composée de toutes les nuances possibles d’opi-