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nées, rentre en scène bannières déployées, voilà le fait, et à coup sûr un des signes les plus caractéristiques de ce mouvement d’opinion, c’est cette récente manifestation de Manchester dont M. Disraeli en personne a été le héros, où Mme Disraeli elle-même, la nouvelle lady Beaconsfield, a eu sa part de hurras. Cette fois M. Disraeli a pu goûter comme un autre tous les plaisirs de la popularité. Il a été reçu en triomphe non-seulement par les habitans de Manchester, mais encore par les populations des comtés voisins, accourues à sa rencontre avec des drapeaux aux couleurs tories. En vérité, tout est singulier dons cette fête, et ce qu’il y a de frappant d’abord, c’est que cette sorte de rentrée en scène du parti conservateur s’accomplisse dans la cité manufacturière, dans cette salle du free trade de Manchester où l’éloquence de Bright, de Cobden, a si souvent retenti contre les tories. Ce qu’il y a de plus curieux encore que tout le reste, ce qui est un des phénomènes les plus significatifs du temps, c’est que le héros de la fête soit M. Disraeli, un homme d’origine israélite, sans fortune au début, ayant commencé sa carrière politique par les chutes oratoires les plus décourageantes, élevé successivement par le talent, par la verve, par l’esprit, par une dextérité mêlée d’audace, et arrivé aujourd’hui à marcher de pair avec les représentans des plus vieilles familles de l’Angleterre. Si quelqu’un a été étonné à Manchester, ce n’est pas M. Disraeli ; lui, il ne s’étonne de rien. S’il est un parvenu, il ne s’en doute pas. Il a voulu être le chef du parti conservateur, et il l’est bon gré mal gré, en dépit des railleries et des mauvais vouloirs. M. Disraeli a naturellement prononcé un discours qui est le manifeste du parti conservateur, le procès de la politique ministérielle, l’exposé de la situation de l’Angleterre, l’apologie des institutions anglaises ; il a trouvé même le moyen de venger la chambre des lords des attaques dont elle est l’objet, et il n’a point oublié de toucher une fibre assez sensible aujourd’hui en Angleterre, en s’adressant à cet instinct de loyalisme monarchique que la maladie du prince de Galles a fait éclater sous des formes si vives et si imprévues. L’accueil que M. Disraeli vient de trouver à Manchester prouve-t-il que les Anglais soient tout prêts à revenir aux principes du torysme, au parti tory ? Non pas précisément, les choses ne marchent pas ainsi. Cela veut dire qu’il y a « des hauts et des bas dans les luttes politiques, » selon le mot de lord Derby à Manchester, que la fortune ministérielle de M. Gladstone subit un temps d’arrêt, et que les chefs du parti conservateur, favorisés par les circonstances, s’efforcent de familiariser l’opinion avec la pensée de leur retour au pouvoir ; ils cherchent les occasions de se rendre possibles, comme ils l’ont fait plus d’une fois., en sauvegardant la dignité de leur situation et de leurs idées sans prétendre réagir contre un certain mouvement de libéralisme cher au peuple anglais.

Que sous ces conflits réguliers des partis, sous ces mêlées purement politiques, il reste toujours des problèmes sociaux, économiques, qui agi-