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nous reprocher d’ignorer jusqu’ici la géographie de notre pays, et lui qui, pendant sa dictature, a pris Épinay-sur-Seine pour Épinay-sur-Orge, et Bar-le-Duc pour Bar-sur-Seine, il vient de faire une découverte de la plus haute importance, qu’il a confiée aux braves Angevins. Il a découvert que le Maine, la Vendée, le Bocage, n’étaient pas « des steppes, des landes, » comme on le lui avait dit, que c’étaient au contraire de belles terres, nullement encombrées par les broussailles du privilège, merveilleusement préparées pour le progrès. La preuve, c’est qu’elles sont déjà républicaines. Ah ! si le Maine, la Vendée et le Bocage n’étaient pas républicains, ils redeviendraient sans doute des landes et des steppes ; l’ancien dictateur de Bordeaux en serait quitte pour recommencer son instruction géographique. Et voilà de quelle façon on justifie l’ambition d’être un chef départi, comment on croit servir la république ! La république, qui donc la compromet plus gravement que ceux qui prétendent en être les gardiens et les représentans privilégiés ? Est-ce qu’il suffit de tout décrier chez les autres pour donner un atome de force de plus à la république, de répéter à tout propos que les républicains sont les plus zélés défenseurs de l’ordre contre les anarchistes monarchiques, de s’extasier sur le personnel d’élite, tout démocratique, qui, depuis un an, dans certaines villes comme dans certains départemens, est sorti des élections des conseils-généraux, des élections municipales ? Est-ce qu’il suffit enfin d’aller de temps à autre dans un banquet chanter un air de bravoure, une cantate oratoire ? Une bonne fois qu’on en finisse donc avec toutes ces déclamations creuses qui ne sont que le déguisement de l’infatuation et de l’impuissance. Sortons des phrases et rentrons dans la vérité, qui convient toujours à tout le monde, dans la simplicité, qui convient particulièrement aux peuples éprouvés, dans le sentiment modeste et fier d’une situation où les coups d’état, les révolutions et les guerres aventureuses ont laissé des ruines qu’on ne relèvera pas avec des harangues tribunitiennes.

Au lieu de jeter aux esprits des discours excitans qui n’ont même pas l’excuse de la passion, qu’on s’attache à l’œuvre pratique de la reconstitution française, qu’on étudie, avec l’unique préoccupation de l’intérêt national, toutes ces questions de finances, de réorganisation intérieure, d’organisation militaire, qui ont beaucoup plus d’importance pour le pays que toutes les tirades amphigouriques sur le fleuve de la démocratie. Au lieu d’agiter les passions, qu’on les apaise, qu’on fasse bien comprendre à ceux qui l’ignorent qu’après tous les bouleversemens dont la France a souffert le premier de tous les progrès est le respect de la loi. Malheureusement c’est là ce dont on s’occupe le moins, et on a même imaginé depuis quelques jours une théorie nouvelle pour se mettre à l’aise. Violer la loi, non, on ne le veut pas, surtout quand on se croit favorisé par cette loi ; seulement il est bien permis de l’éluder dans ce qu’elle peut avoir de contrariant. Ainsi la loi défend aux