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trouvé de cette facilité plus que débonnaire ? Observer la société telle qu’elle existe au grand jour, et se souvenir que l’unité non pas abstraite, mais vivante, est l’admirable privilège de l’art, ce sont deux préceptes qui semblent être oubliés de plus en plus.

Arrêtons ici cet aperçu des acquisitions ou des pertes de l’art dramatique contemporain. D’autres noms pourraient venir à la suite de ceux dans lesquels se résument les efforts les plus récens de la comédie et du drame. Ils ne changeraient rien à l’impression générale, et risqueraient même de la troubler, l’un par les triviales facéties où il renferme une fécondité naturelle, l’autre par les prétendues peintures de mœurs qu’il mêle à des photographies de cour d’assises, celui-là par les beaux vers dont il enguirlande de parti-pris les sujets les plus dénués d’intérêt.

Nous avons indiqué l’état du théâtre actuel, d’une part l’insouciance qui ne tient aucun compte des événemens et qui continue de se faire une industrie des petitesses qu’elle aperçoit ou des scandales qu’elle cherche dans notre société, sans se proposer réellement de réparer ou de corriger, de l’autre l’étude consciencieuse qui s’efforce de maintenir les traditions de l’art, mais qui se trompe quelquefois ou se décourage et s’arrête à moitié chemin. Il en est qui ont poussé jusqu’au bout la prétention d’étonner le public par des conceptions équivoques ; ils confondent la crudité des traits et du langage avec la hardiesse. Ces analyses du vice et de la corruption prirent jadis leur source dans les romans de Balzac : nous espérons que les symptômes d’épuisement qui s’y laissent apercevoir en présagent la fin. Il en est qui sont restés plus fidèles à leur art : ils n’ont pas renoncé à l’élévation des sentimens. Toutefois il convient de leur rappeler que la passion même, qui est un idéal, a ses périls, et qu’elle peut dégénérer en des crises malsaines. La peinture de ces travers du cœur est encore un souvenir qu’il ne faut pas transporter dans notre vie d’aujourd’hui, qui devrait être si sérieusement occupée. Parmi ces talens d’un ordre plus haut, il manque peut-être à ceux qui étaient et qui sont restés poètes plus de confiance dans le public et une fermeté plus soutenue dans leurs conceptions. Qu’ils se gardent de cette prudence pusillanime qui fuit les grands sujets, comme aussi de confondre l’élévation avec la simple poésie. Le poète ne doit pas être à lui-même son témoin et son admirateur, et le lyrisme n’est pas le moyen le plus assuré de faire naître dans les âmes l’idée du grand. Corneille a l’héroïsme et la force ; il n’a jamais mis le poète et à peine la poésie sur la scène.

Entre ces deux manières d’envisager le théâtre, on rencontre ceux qui n’ont pas de vues particulières ni de principes arrêtés. Ils n’ont foi que dans la pratique : ils se contentent d’expédiens et de