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Théâtre-Français, les réflexions que nous inspirent l’habileté très réelle et le savoir-faire peu commun de M. Gondinet.

Christiane s’annonce tout d’abord comme une œuvre d’il y a deux ans, c’est-à-dire d’autrefois. Parmi celles-là mêmes qui ont été représentées avant 1870, il en est plusieurs qui rappellent moins l’état maladif des esprits à cette époque, et qui semblent davantage tournées vers l’avenir. C’est bien là, malgré un vernis incontestable d’honnêteté, une de ces conceptions nées d’un temps ennuyé, désœuvré en morale comme en littérature. Ces curiosités-là s’expliquaient par le loisir, par le raffinement, par le dégoût du vrai, par les besoins d’une imagination sans aliment. Par malheur, il n’y a pas de revirement soudain en matière d’art comme de politique, et une pièce met plus de temps à se monter qu’une révolution à s’accomplir, d’autant plus que celle-ci apporte à celle-là des retards imprévus. Voilà l’histoire de presque tout ce que nous voyons au théâtre aujourd’hui, et la cause qui fait que nos comédies ressemblent trop souvent à des almanachs de l’an passé. Cependant le public applaudit. Les auteurs ont fait leur siège, ils ne veulent pas le perdre. De leur côté, les spectateurs ne sont pas moins les esclaves de leurs habitudes. Ils réclament d’abord des distractions, fussent-elles les mêmes, et ne s’aperçoivent qu’ils peuvent y renoncer que le jour où de nouvelles leur sont présentées.

Quelle est donc la curiosité particulière que l’on a vue dans Christiane ? Un amant qui dispute ses droits au mari, non plus sur la femme, qui d’ailleurs est morte, mais sur l’enfant, dont il se prétend le véritable père. Cette idée des privilèges paternels d’un amant est si bien un des raffinemens littéraires de l’époque dont nous venons de parler, qu’on en pourrait suivre l’histoire dans le Filleul de Pompignac, dans l’Autre, dans Séraphine, et même dans les romans qui ont précédé ; nous en pourrions citer au moins un qui est de 1867, et que nous voulons laisser dans l’oubli où il nous paraît tombé. Rien ne prouve mieux le. soin pris par les auteurs dramatiques pour mettre à profit une expérience faite. N’oublions pas que Molière prenait son bien partout où il le trouvait, et que Voltaire a dit : « Quand on vole, il faut être de force à tuer son homme. » M. Gondinet a été de beaucoup le plus habile, et il paraît avoir tué les autres sur le terrain de cette invention ; reste à savoir la valeur du sujet. Plus il est fragile, plus M. Gondinet a déployé de finesse et de dextérité pour le faire accepter.

Ne regardons pas de trop près au raffinement ; les prétextes à comédies s’épuisent. Après avoir montré une combinaison sous toutes ses faces, le théâtre la renverse en quelque sorte et la présente à rebours. Quand on a été fatigué de rire des infortunes des maris,