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parlait du théâtre, et pourtant, si quelqu’un s’en est fait une tribune religieusement écoutée, c’est bien lui. Il a écrit aussi sa comédie contre le préjugé de la naissance, Nanine, qui charma nos arrière-grand’mères ; il n’en a pas averti l’univers comme d’une révélation de la morale, il n’y a pas ajouté la moindre préface. Quel pauvre petit préjugé vaincu, il est vrai, que celui de la naissance ! M. Dumas ne semble pas se douter que ses théories ambitieuses de morale ne seront pas prises au sérieux par les uns, et paraîtront aux autres les indices de je ne sais quelle inquiétude. S’il pouvait se convaincre une bonne fois de l’honnêteté de ses comédies, il renoncerait à nous persuader que le théâtre est un temple, et que l’on en sort tout édifié. Tout homme pèche ; mais M. Dumas, avec ses préfaces, convertit ses péchés en actions méritoires. Voilà ce qui oblige la critique de remettre les choses à leur place, les pièces de cet écrivain parmi celles qui ont compromis la bonne renommée de l’art le plus français de tous, et ses préfaces parmi les pages qui méritent peu de confiance.

Sans la prétention de M. Dumas à être impeccable, la Visite de noces était tout simplement une méprise. L’écrivain, sous prétexte de peinture de mœurs, mettait sur la scène un homme vicieux, Cygneroi, qui serait disposé à renouer avec une ancienne maîtresse, s’il trouvait dans cette liaison l’assaisonnement du vice. Aussitôt qu’il s’aperçoit qu’elle est libre et que sa corruption serait diminuée de moitié, il y renonce, estimant que, pour posséder une femme honnête ou à peu près, il vaut tout autant s’en tenir à l’épouse légitime. Voilà un raffinement qu’il n’était pas précisément nécessaire de dévoiler sous les yeux du public. Si maintenant celui-ci vient déclarer qu’il lui est interdit à la scène de faire triompher le mal, nous demandons naturellement quelle est la punition de son Cygneroi : il s’en va pourvu d’une bonne petite femme qui l’adore et qui ne se doute pas qu’il le mérite si peu. Son châtiment se réduit à ne pouvoir faire tout le mal dont il aurait été capable, et en définitive il emporte précisément la récompense que la comédie avant A. Dumas, tenait en réserve pour ses élus. Notez que ce n’est pas nous qui parlons du triomphe définitif de la vertu ; mais est-ce ainsi qu’il l’entend ? Première imprudence : celle de poser un principe que l’on viole à chaque instant. Second principe et seconde imprudence : l’auteur se regarde comme le confesseur des hommes assemblés ; non-seulement le théâtre devient un temple où nous allons chercher la règle des mœurs, mais on pense involontairement à la primitive église où la confession était générale, et où le prêtre se bornait à lire les commandemens. En vérité, M. Dumas, dans ses lettres et préfaces, est par momens bien ascétique.