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La facilité avec laquelle le code civil a été sur ce point si important imité par un grand nombre de peuples européens, qui ne songent ni à s’en plaindre ni à s’en défaire, n’est-elle pas la preuve la plus frappante que la loi est en général d’accord avec les convenances naturelles ? La plus grande partie de l’Allemagne a adopté notre régime ; on ne voit pas que la famille ait beaucoup à en souffrir. Comparez les effets moraux de la loi de succession en Angleterre et en France en prenant pour types deux bonnes familles dans les deux pays. Les Anglais eux-mêmes reconnaissent que la supériorité appartient à la famille française ; l’union des cœurs et des intérêts y est plus grande sans comparaison. Ces rapports froids ou peu bienveillans fondés sur l’inégalité nous répugneraient essentiellement. Les moralistes et les romanciers anglais ont jugé et peint bien des fois ces intérieurs glacés ou divisés sans se méprendre sur la cause. On ne prétend pas que toutes les familles soient en Angleterre formées sur ce modèle. Non, assurément : on y accepte l’aînesse même dans les moyennes familles ; mais les défauts se montrent en raison même de l’action exercée par l’inégalité. Retenir les enfans, comme on le propose, dans un respect de commande par l’appât d’une augmentation dans la part d’héritage n’est peut-être pas moralement une inspiration très élevée. Ne pourrait-on objecter que c’est encourager les apparences, peut-être l’hypocrisie, au préjudice de la réalité de l’affection ? Les critiques du régime établi insistent sur ce fait, que les enfans escomptent trop souvent leurs espérances par des dettes. En voyant notre mal, avons-nous oublié celui que produit l’autre système ? N’est-ce pas exactement ce que faisaient, ce que font encore les fils de famille dans des proportions tout autrement étendues, avec un tout autre scandale et un bien plus grand préjudice, sous le régime de la succession inégale ? L’idée de stimuler au travail ceux qui seraient dépouillés de toute part d’héritage est aussi fort sujette à objection. La réserve dont dispose un jeun ? homme entrant dans la vie, ou qu’il attend plus tard, n’est pas un secours à dédaigner dans l’état d’exiguïté de nos fortunes. On engage les enfans qui n’auront rien ou qui auront peu à émigrer, tandis qu’un de leurs frères gardera la propriété de la terre ou de l’usine. Cette émigration indiquée comme une carrière à une masse d’hommes appartenant à la classe moyenne est chez nous de tous les remèdes le moins praticable. Une foule de considérations morales et matérielles contrarient l’expatriation au sein de nos moyennes familles. Nous n’avons pas les Indes comme l’Angleterre ; nous ne possédons aucun de ces moyens qui sont à sa portée de pourvoir ses cadets. Nous n’avons guère que l’Algérie et nos fonctions publiques, déjà trop encombrées.