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tradition locale et l’intérêt collectif eurent-ils jamais plus de puissance ? Et comment ne pas compter aussi pour beaucoup cet isolement intellectuel résultant d’un patois et du manque de communications rapides ? Eh bien ! en dépit de ces circonstances, cette œuvre de conservation a dû céder à la force dissolvante de la loi actuelle. Cette famille qui, au dire de M. Le Play, s’était maintenue sur son domaine pendant au moins quatre cents ans dans, un état de bien-être et de moralité, cette famille bénie a vu s’amonceler l’orage sur sa tête. Un collaborateur de M. Le Play, M. Cheysson, ingénieur des ponts et chaussées, est allé s’enquérir en 1869 du sort des Mélougas ; il a publié, sous forme d’appendice, la fin de ce petit drame qu’on a vu commencer sous de si favorables auspices. Le début de ce dernier acte en garde encore un reflet et s’ouvre sur une scène presque biblique. On trouve de ces tableaux agréables et sourians dans le voyage en France d’Arthur Young. En voyant la famille réunie, employée au travail des regains, dans une jolie prairie inclinée, la maîtresse de la maison occupée d’un travail de tricot à l’ombre d’un arbre, autour d’elle ses petits enfans qui se roulent sur l’herba, tandis que les autres membres de la famille, disséminés sur la pente, coupent les foins ou les étendent au soleil, qui croirait devant un tel tableau si plein de calme et de sérénité, qu’encadre cette belle et grandiose nature des Pyrénées, que l’inquiétude est là, que ce bonheur atteint déjà va bientôt disparaître ? Combien la situation a changé depuis 1856 ! Combien de vides a faits la mort ! En même temps que les rangs se serraient, la famille a vu fuir son aisance. Elle a dû vendre successivement une partie de ses terres pour une somme de 2,200 francs. Son bétail s’est réduit presque des deux tiers et ne comprend plus que 6 bêtes à cornes, 30 brebis, 12 agneaux, 2 porcs. Par suite, les revenus de la viande, du lait, du beurre et de la laine ont très notablement baissé, et la gêne est venue. Comment s’est accomplie cette triste transformation ? Les mœurs de la famille ont-elles donc changé ? Non, c’est toujours la même moralité, la même économie exemplaires. A-t-elle été frappée par quelque sinistre venant de la nature ? Pas davantage. Qui a fait le mal ? Le code civil. Les détenteurs du domaine avaient encore à compter tous les ans en espèces à leurs cohéritiers une soulte de 500 à 700 francs. La famille se vouait à cette tâche et la menait à bien, lorsqu’en 1864 la mort de l’aïeul interrompit le cours de cette prospérité. Un des oncles de l’héritière Savina, qui n’avait pas réussi dans ses affaires, obéissant à de mauvaises suggestions, entraîna une de ses sœurs avec lui et attaqua l’acte de partage du 27 février 1835, pour cause de lésion de plus du quart (article 1079 du code civil), et en outre pour violation