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ab intestat, posait en principe l’égalité absolue des héritiers placés au même degré par ordre de naissance, et détruisait en conséquence toutes les distinctions établies jusque-là par les coutumes locales entre les aînés et les puînés, les garçons et les filles, les immeubles et les meubles, les biens patrimoniaux et les biens acquis, etc. C’était aller plus loin aussi que le décret du 14 novembre 1792, portant que les substitutions seraient absolument interdites à l’avenir. Ce déplorable décret du 7 mars 1793 abolissait la faculté de tester en ligne directe ; en conséquence, tous les descendans d’un même degré avaient désormais un droit formel et égal sur le partage des biens de leurs ascendans ; puis venaient ces décrets au plus haut chef destructeurs de la famille, qui ne faisaient qu’aller plus avant dans cette voie désastreuse. Le décret notamment du 2 novembre 1793 admettait les enfans naturels au même titre que les enfans légitimes, et par un effet rétroactif, aux successions de leurs père et mère ouvertes depuis le 11 juillet 1789. Une fois une telle limite franchie, il n’y avait plus qu’à aboutir au communisme ou à rétrograder. À mesure qu’on s’est rapproché des conditions d’une société plus régulière, c’est au dernier parti qu’on s’est arrêté. On s’y avance par une série démesures réagissant contre ces divers excès, jusqu’au décret de germinal an XI (19 août 1803), qui établit les bases essentielles de lois aujourd’hui en vigueur. Il étend les limites des libéralités faites par actes entre vifs ou par testament en faveur des enfans ou des étrangers : ces libéralités peuvent s’élever à moitié du bien s’il y a un enfant, à un tiers dans le cas de deux enfans, à un quart dans le cas où il y a trois enfans ou plus (art. 913). Enfin le même décret autorise les pères et mères à donner la quotité disponible à un ou plusieurs de leurs enfans, sous diverses clauses restrictives.

Des modifications ont été apportées par l’empire et par la restauration dans un sens aristocratique, elles ont été sur plusieurs points abrogées par les gouvernemens qui ont succédé ; mais rien n’a été changé à ces dépositions essentielles. M. Le Play, qui demande l’abrogation des dispositions principales de cette loi, ou au moins de la liberté testamentaire absolue, ne les accuse pas seulement d’avoir accompli une œuvre de décomposition depuis plus de soixante-dix ans ; à l’en croire, cette œuvre continue et achève de détruire ces familles-souches qui occupent encore une partie de notre sol. Ce n’est pas seulement dans les rangs élevés de la société qu’on rencontre de ces familles, il en est à tous les degrés qui justifient ce titre, sinon toujours par tous les traits dont les la peintes l’auteur de l’Organisation de la famille, au moins par les plus essentiels. Elles ont résisté successivement aux maux qui émanèrent de la monarchie