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veuille faire attention à ce mot de famille souche : c’est un des arcs-boutans du système. Définissons ces trois régimes. La stabilité règne au plus haut degré dans la famille patriarcale. Tous les fils se marient et s’établissent au foyer paternel. Les habitudes et les idées des ancêtres s’y transmettent, comme les biens, à plusieurs générations. Les essaims qui s’en échappent périodiquement conservent et vont porter ailleurs les mœurs et l’esprit de la race. M. Le Play accorde aux bonnes époques de ce régime le mérite de régler équitablement, grâce à l’autorité et à la coutume, les devoirs réciproques. Au reste, la famille patriarcale est sujette, comme toute chose, à s’altérer : elle peut dégénérer en oppression, en routine ; en général, elle a pour défaut, dans l’ordre intellectuel, de donner trop de quiétude à l’ignorance. À ce type se rattachent aujourd’hui les territoires riverains de l’Océan Glacial et de la Mer-Blanche, comme les fertiles steppes qui s’étendent de l’Oural au Caucase. Les Tartares, les Bachkirs, les Kalmouks et les autres races pastorales de cette région commencent à défricher le sol à l’exemple des colons russes venus de l’Occident ; mais ce changement n’a point encore amené une organisation nouvelle de la société. L’ordre de choses opposé domine dans la famille instable, qui a son type le plus complet chez les chasseurs primitifs de l’Occident. Plus d’un peuple civilisé reproduit malheureusement ce type de la famille qui exerce sur tout l’ordre social une si fâcheuse influence, et développe sans mesure l’esprit de nouveauté et d’individualisme. Dans ce régime, les enfans quittent séparément la famille paternelle dès qu’ils peuvent se suffire à eux-mêmes ; les parens restent isolés pendant leur vieillesse et meurent dans l’abandon. Nulle transmission des idées saines et des sages pratiques. L’inclination et les impulsions fortuites déterminent le choix des carrières. « Chez les nations ainsi constituées, écrit M. Le Play, les courtes époques de prospérité sont dues à l’ascendant momentané de quelques hommes supérieurs : les époques de souffrance sont sans cesse ramenées par des excès d’individualisme et d’insatiables besoins de nouveauté. » On lit avec inquiétude dans l’Organisation de la famille que nos aïeux les Gaulois en étaient déjà là aux premières origines de leur histoire. Cette instabilité, combattue par l’influence des races venues de l’Orient, lesquelles développèrent dans les Gaules les habitudes pastorales ou agricoles, reparaît de plus en plus, et triomphe au moment où les Grecs et les Romains commencent à les étudier. On y trouve un éparpillement excessif des familles, des foyers et des champs. Les jeunes Gaulois s’échappent volontiers de ces établissemens, qui se partagent entre tous les enfans et n’acquièrent aucune force. Ils courent les aventures guerrières, forment des armées, et aux grandes époques de