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il suffit même qu’elle puisse être soupçonnée, pour qu’on s’en préoccupe.

La question du régime des successions en France se pose aujourd’hui d’une manière toute différente qu’à l’époque de la restauration. On sait à quel point alors la polémique fut vive sur les effets du régime de succession établi par la révolution française, notamment lors de la présentation du fameux projet de loi portant rétablissement du droit d’aînesse. Alors, cela ne fait aucun doute, c’était le privilège qu’il s’agissait de réinstaller. On faisait la guerre à la petite propriété au nom de la grande ; c’est à cette fin que l’un des défenseurs les plus habiles du projet, M. de Villèle, entassait sur les excès du morcellement des chiffres alarmans, et, on peut le dire aujourd’hui avec une entière certitude, pour la plus grande partie arbitraires et inexacts. Les recherches économiques et statistiques ont prouvé qu’en somme, malgré des excès partiels et très fâcheux de fractionnement, la petite propriété n’a pas ruiné la France, qu’elle l’a au contraire enrichie. En 1826, la politique, avec ses visées de reconstitution aristocratique et nobiliaire, primait évidemment et dictait les considérations économiques, qu’elle pliait de gré ou de force à ses desseins.

Il n’est pas inutile de relever quelques-unes des profondes différences et aussi quelques points communs de la campagne entreprise alors contre la loi de succession avec l’espèce d’agitation qui se produit sur le même sujet. Qu’on se reporte soit à l’énoncé du projet de loi, soit à la nature des argumens qui furent invoqués. Le projet de loi de 1826 étendait le droit de substitution conféré par les articles 1048 à 1050 du code civil ; les biens dont il est permis de disposer, aux termes des articles 913, 915 et 916 du code civil, devaient pouvoir être donnés par actes entre vifs ou testamentaires à un ou plusieurs enfans du donataire, nés ou à naître, jusqu’au deuxième degré inclusivement. Cette partie du projet fut adoptée. Il y en avait une autre plus importante et qui devait être repoussée : c’était la disposition qui, dans toute succession déférée à la ligne directe descendante et payant 300 fr. d’impôt, attribuait la quotité disponible à titre de préciput légal au premier-né des enfans mâles du propriétaire décédé, lorsque celui-ci n’avait point adopté une disposition contraire. Rien n’était plus fait pour irriter la bourgeoisie, prompte à prendre ombrage de tout ce qui pouvait rappeler les inégalités de l’ancien régime, pour alarmer les paysans qui, dans toute modification apportée au régime de la propriété, voyaient une menace dirigée contre les biens qu’ils tenaient de la révolution. Une partie de la noblesse libérale s’associa franchement à cette opposition en prenant la défense de la loi d’égal partage. Dans un