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cause en est dans une stérilité systématique et calculée. On y regarde les enfans comme une charge, on veut jouir, augmenter son bien-être, transmettre (et voici que nous touchons déjà par un de ses côtés à la loi de succession) tout son petit domaine arrondi, s’il se peut, à un seul héritier. On a peur surtout de le voir morcelé entre un trop grand nombre. Cela ne va pas sans bien des désordres. Trop souvent le crime se place à côté du vice. Le vol, l’assassinat, commis sur les proches par un mobile de cupidité dégénéré en fureur, en féroce monomanie, sont plus fréquens dans les campagnes que dans les villes. Les vieillards y sont traités sans égards, souvent sans pitié. On trouve qu’ils vivent trop longtemps. Des pères infirmes, jugés bons à rien, puisqu’ils n’accroissent plus la fortune et n’apportent plus même la part de travail nécessaire à leur entretien, excitent par leur obstination à ne pas mourir l’impatience avide de leurs héritiers, qui savent que, de quelque manière qu’on les traite, la part qui leur revient de ces biens par héritage ne leur saurait manquer. Un tel tableau fait honteusement tache au milieu d’une civilisation brillante infatuée d’elle-même.

Enfin on signale un manque fâcheux de tradition. Combien de fils succèdent à leurs pères aujourd’hui ? Croit-on que ce soit sans préjudice, même moral ? L’hérédité, ce fait qui permet au fils de continuer la personne du père, selon la forte expression du droit romain, est quelque chose de moins matériel que l’héritage ; elle suppose toute sorte d’attaches morales. Les ôter ou les affaiblir, c’est mutiler la famille comme influence éducatrice. Comment cette influence serait-elle complète, si le fils ne continue que rarement son père dans l’exercice de sa profession, dans l’exploitation de son entreprise, dans la propriété et dans l’aménagement de sa terre ? Le foyer, vrai symbole de stabilité, ne doit pas être renversé à chaque génération ; autrement attendez-vous à n’avoir plus que des existences jetées à tous les vents, — forces isolées ne formant plus que des associations passagères, accidentelles, cherchant le succès tantôt dans les révolutions, tantôt dans ces âpres efforts où l’intrigue et l’improbité risquent de tenir plus de place que le travail. Combien aussi, à côté de ces luttes brutales où du moins se déploie une certaine énergie, combien, par le même fait de l’affaiblissement des traditions et des fortes disciplines, de volontés amollies, de caractères sans nerf, de cœurs sans ardeur, remplaçant le dévoûment par l’égoïsme, les pures affections par le plaisir, les devoirs sévères de la vie par le culte épicurien du bien-être !

Voilà comment on se trouve amené à rattacher l’état de la famille à la loi de succession. Y eût-il exagération dans les griefs qu’on élève contre elle, il suffit que cette influence soit réelle en partie,