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toutes nos villes, un très grand nombre de familles excellentes. L’affection plus vive, plus cordiale, n’ôte rien au respect dépouillé de la froideur et de la solennité du cérémonial d’autrefois. Combien de mères par exemple nous voyons prendre leurs devoirs au sérieux autant, plus peut-être, que cela ne s’est vu à aucune époque ! Combien de pères envoient leurs fils, plus tendrement aimés qu’en des temps où l’intimité était moins habituelle, exposer leur vie quand le sol du pays est envahi ou quand la sédition descend en armes dans la rue ! Les liens des frères et des sœurs, l’esprit de secours mutuel entre parens, l’absence d’humeur processive, tous ces traits de la famille unie se présentent aujourd’hui sous nos yeux. Malheureusement tout n’est pas là.

Les classes riches et aisées ne manquent pas de familles qui ressemblent trop peu au modèle que nous venons de décrire ; le relâchement de la discipline et du respect s’y manifeste assez souvent par des symptômes fâcheux. Nous croyons pourtant que le mal est plus grand dans les classes populaires. À côté de l’esprit de travail, d’économie, de dévoûment, qui trouve place là aussi dans une foule, d’intérieurs modestes, dont plusieurs sont admirables, combien de fois la famille ouvrière se présente en France imparfaite, existant à peine ou altérée et dégradée ! Pour beaucoup, les causes du mal ne sont que trop faciles à découvrir, et on ne sera pas tenté d’accuser la loi de succession de produire de mauvais effets chez des gens qui n’ont rien et qui ne reçoivent pas le moindre héritage. La misère, l’exiguïté des logemens, un entassement voisin de la promiscuité, aussi peu conforme aux règles de la morale que de l’hygiène, la mère travaillant au dehors, les enfans dispersés, exposés à toutes les tentations de l’atelier et de la manufacture, le père fuyant cet intérieur sans air, sans lumière, sans intimité, demandant aux distractions du dehors, à la débauche, à l’ivresse surtout, les seuls plaisirs qu’il comprenne, voilà un tableau qu’on a souvent tracé, et dont l’exactitude est irrécusable. On a eu le tort pourtant d’accuser trop exclusivement la misère. Il est de notoriété que les conditions économiques du salaire et de l’existence se sont sensiblement améliorées dans les classes ouvrières. Il s’en faut que leur état moral en ait ressenti toujours une favorable influence. Les preuves que le foyer domestique n’en a pas profité, comme cela aurait pu et dû être, éclatent sous toutes les formes, accroissement des unions illicites, augmentation des naissances illégitimes, des enfans abandonnés, développement du libertinage. Les économistes qui ont comparé l’état de la famille ouvrière avant et depuis 1789 concluent souvent que le nombre des familles offrant des conditions supérieures de moralité et de bien-être s’est plutôt accru. Reste à savoir si une minorité très nombreuse ne s’est pas