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Avant de parler chez nous de la nature et de l’étendue des remèdes, il faudrait d’abord s’assurer de la réalité du mal. Les affirmations des optimistes et des pessimistes ne sauraient être prises pour des preuves. On pourrait répéter indéfiniment, soit que nous valons mieux que nos pères en cela, comme en bien d’autres choses, soit que nous valons moins, sans que la question fit un pas. De tels jugemens sommaires et contradictoires ont, entre autres défauts, cet inconvénient, qu’ils varient souvent du jour au lendemain. Aux temps de prospérité, on s’attribue toutes les supériorités ; au lendemain des revers, on se couvre la tête de cendres. L’ancien régime aussi a eu ses plaies. La famille n’en fut pas exempte : du moins faut-il reconnaître que les principes qui la maintiennent restaient intacts. On y croyait, même en s’en écartant. Qui pourrait dire que cette foi n’a pas subi d’altération ? La littérature a-t-elle sur ce point reflété la société, ou est-ce la société qui a reflété la littérature ? Il serait plus vrai de dire qu’elles se sont servi d’image et d’écho l’une à l’autre. Et qu’on ne prétende pas que c’est là un fait général, européen. Il faut l’avouer, c’est un fait français. Rien de pareil ne se voit en Amérique, en Allemagne, en Angleterre. La littérature, notamment chez les Anglais et les Américains, est tout imprégnée des sentimens de famille ; elle n’a rien perdu de ce caractère depuis Walter Scott et Cooper. Dickens a pu faire révolution dans le roman sans modifier ce point essentiel ; loin de là, le culte du foyer a un charme plus pénétrant dans les livres de ce romancier, même les plus hardis au point de vue social. Ce qui semble à nos écrivains terne, prosaïque, souvent insupportable dans le ménage, se recouvre, aux yeux des auteurs américains ou anglais, d’une douce teinte de poésie.

Nous voudrions, par des traits précis, indiquer ce qui nous paraît vrai dans les critiques adressées à la famille en France. Défions-nous un peu de ces condamnations en masse portées à la légère. Il y a lieu de se demander si ce qu’on reproche à la société ne serait pas le fait d’une minorité, laquelle d’ailleurs peut être nombreuse. Au sein de cette société française, qui présente les différences les plus saillantes dans les élémens dont elle se compose, il importe de distinguer entre les classes. La société, trop de personnes l’oublient, ne se renferme pas dans le cercle d’une élite de fortune ou de naissance ; cette façon aristocratique de désigner, comme on le faisait autrefois, par ce mot la minorité la plus riche et la plus éclairée ne saurait avoir cours sous notre régime de démocratie. Ce qu’il y a de compliqué dans l’idée de la société est une raison de plus de ne pas se laisser aller à ces arrêts inflexibles et uniformes qui s’adaptent mal aux réalités.

Consultons les faits. Il y a certainement en France, à Paris, dans