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fonde dans cette conduite de Rome : c’était seulement une apparence de liberté qu’on accordait à la Grèce pour qu’elle achevât de s’affaiblir dans des luttes intérieures. — M. Mommsen est fort contraire à cette supposition, qui lui semble « une absurde invention de philologues s’érigeant en politiques. » Les Romains, selon lui, agirent loyalement. Nouveaux convertis à la littérature et à l’art de la Grèce, ils étaient pleins de respect pour les grands souvenirs que son nom rappelle. Ils voulurent se conduire généreusement avec elle, et c’est justement ce qui semble si criminel à l’historien. Flamininus n’est pour lui qu’un philhellène malencontreux qui, par sa générosité déplacée, va causer beaucoup d’embarras à son pays, et il déclare qu’en conservant quelque ombre de vie à la Grèce, en tolérant même chez elle quelques velléités d’indépendance, Rome ne fut pas seulement malavisée, mais aussi qu’elle fut coupable. Lorsqu’on a la force, il faut s’en servir et réduire à l’obéissance ceux qui sont tentés de s’en écarter. « Le devoir et la justice commandent à qui tient les rênes ou de quitter le pouvoir, ou de forcer les sujets à la résignation en les menaçant de tout l’appareil d’une supériorité écrasante. » Il est bien difficile de n’être pas choqué de la manière dont M. Mommsen traite Philopémen et ses amis ; ils lui paraissent des fous ou des niais, et la résistance qu’ils essayèrent contre le pouvoir triomphant de Rome ne lui semble qu’une assez pauvre comédie. « Tous leurs grands airs patriotiques, nous dit-il, ne sont que sottise et grimace devant l’histoire. » Ce que nous admirons chez eux est précisément ce qu’il y blâme. Philopémen a courageusement défendu son pays sans compter jamais sur le succès, sans se faire illusion sur sa faiblesse. Il n’ignorait pas que la ruine était certaine et n’avait d’autre ambition que de la retarder de quelques jours. Le dernier des Grecs ressemble pour nous à ces héros d’Homère qui connaissent leur destinée, qui savent que leurs efforts sont inutiles, que leur fin est marquée, et qui n’en combattent pas moins avec énergie, comme s’ils avaient devant eux les horizons indéfinis de l’espérance. C’est ce que M. Mommsen ne peut supporter. Il aime à brusquer les choses, et n’est pas, comme on sait, pour les agonies trop longues. Ces gens qui s’obstinent à retarder par tous les moyens la fin de leur pays, lorsqu’elle est inévitable, lui font l’effet de malades qui s’attacheraient lâchement à la vie et ne pourraient pas se décider à mourir.

Il faut du reste avouer que, si Rome a traité les Grecs comme M. Mommsen le suppose, cette conduite ne lui était pas ordinaire. Il n’a pas à la blâmer souvent d’être trop généreuse ; c’est du côté opposé qu’inclinait sa politique. Il le reconnaît lui-même ailleurs et le proclame avec une satisfaction visible. « La générosité, dit-il, lui était