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tôt qu’une peinture réelle. Il est pour lui le grand homme, l’homme complet, » et, comme c’est surtout par les imperfections et les limites que se précisent les caractères humains, il arrive qu’en ne voulant reconnaître à son héros rien d’imparfait il ne nous le fait entrevoir que d’une manière assez vague. Ce n’est pas, par exemple, nous en donner une idée bien nette que de dire « qu’il est placé au confluent où viennent se fondre tous les grands contraires. » En résumé, quand je presse ce chapitre si brillant sur la république et la monarchie où M. Mommsen n’a voulu mettre le dernier mot de ses opinions politiques, je n’y trouve guère qu’une admiration sans réserve pour l’habileté de César et pour la façon dont il accomplit ses desseins. « Ce fut, nous dit-il, un maître ouvrier incomparable. » Quant à l’œuvre elle-même, M. Mommsen reconnaît qu’elle n’était pas nouvelle. Cette monarchie, « qui n’est que la nation représentée par son plus haut et son plus absolu mandataire, qui, loin d’être contraire au principe démocratique, en est l’achèvement et la fin, » c’est tout à fait celle qu’il appelait tout à l’heure « la monarchie napoléonienne, » et que C. Gracchus avait voulu fonder. Il est vrai qu’il nous dit ailleurs, et à plusieurs reprises, que César comptait introduire un élément nouveau dans la monarchie absolue, et que cet élément n’était rien moins que la liberté. « Si après vingt siècles nous nous inclinons respectueux devant la pensée de César et devant son œuvre, ce n’est point certes parce qu’il a convoité et pris la couronne : l’entreprise ne vaudrait que ce que vaut la couronne elle-même, c’est-à-dire bien peu de chose. Nous nous inclinons parce qu’il a porté en lui jusqu’au bout le puissant idéal d’un gouvernement libre sous la direction d’un prince, parce que cette pensée, il l’a gardée sur le trône et qu’il n’est point tombé dans l’ornière commune des rois. » Ce sont là de ces affirmations qu’on ne peut accepter sans preuve. Les desseins de César ont été interrompus par sa mort. C’est un grand avantage pour ceux qui veulent à tout prix les célébrer : comme ils n’ont pu être achevés et qu’on ne les a pas vus à l’œuvre, on est plus libre d’en penser tout ce qu’on veut, et le champ est ouvert aux conjectures ; mais celles de M. Mommsen sont vraiment un peu trop hardies. Où prend-il que César ait jamais rêvé une alliance entre le libre développement du peuple et le pouvoir absolu ? Jusqu’à ce qu’il nous le prouve par des faits concluans, il nous sera difficile de voir autre chose dans son entreprise qu’une confiscation générale de toutes les libertés publiques ; il n’a paru parfois en respecter quelqu’une que parce qu’il voulait ménager l’opinion et l’accoutumer par degrés au despotisme. C’est du reste ce que M. Mommsen semble reconnaître ailleurs d’assez bonne grâce quand il nous parle des « soi-disant institutions mo-