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vailla qu’à restaurer le pouvoir de sa caste ; mais ce fut aussi un énergique soldat, un politique hardi qui ne recula devant aucune extrémité. En réalité, il se fit le maître et régna sur Rome épouvantée pendant quatre ans ; sous le nom de dictateur, ce fut un roi véritable. M. Mommsen fait remarquer que, tout ennemi qu’il était de la démocratie, il arrivait au même but que C. Gracchus par une autre route. C’est ainsi qu’il se justifie d’admirer Sylla, après avoir admiré les Gracques. Il ne lui marchande pas les éloges, il le compare à Cromwell, et même un peu à Washington. Ce dernier rapprochement a paru forcé malgré toutes les restrictions auxquelles l’auteur a recours. Peu d’honnêtes gens consentiront à placer le nom du héros de l’Amérique à côté de l’homme qui décréta les proscriptions. L’œuvre de Sylla fut encore moins solide que celle des Gracques ; dix ans après la mort, du dictateur qui avait tant versé de sang pour rétablir l’autorité de la noblesse, on était en pleine anarchie. M. Mommsen propose alors plus que jamais son remède héroïque. Il se compare au médecin « qui se demande à l’heure douloureuse lequel vaut mieux de prolonger l’agonie du malade ou d’en finir avec elle tout de suite, » et, moins scrupuleux qu’un médecin ne le serait sans doute en cette occasion, il supplie tout le monde d’aider un peu le malade à mourir. Par malheur, pour instituer la royauté, il faut un roi, et il n’est pas toujours aisé d’en trouver un. « À peine si une fois en mille ans il se lève au sein d’un peuple un homme voulant qu’on l’appelle roi et sachant régner. » Cet homme ne sera certainement pas Pompée ; il n’avait pourtant qu’à le vouloir pour s’emparer de l’autorité suprême. « Le bandeau royal était sous sa main, » et M. Mommsen l’invitait à le prendre ; mais Pompée était une nature timide, « péniblement cramponnée à la formalité légale, » c’est-à-dire qu’au dernier moment il ne pouvait prendre sur lui de violer ouvertement les lois de son pays. Beaucoup d’honnêtes gens lui en sauront gré peut-être ; M. Mommsen ne peut pas lui pardonner d’avoir trompé les espérances qu’il fondait sur lui, et il condamne d’un mot cet homme qui pouvait régner et ne l’a pas osé. « C’était, dit-il, tout au plus un bon caporal. »

Heureusement César n’avait pas ces scrupules. Avec lui, M. Mommsen trouve enfin l’homme qu’il lui faut, l’homme qu’il réclame, qu’il attend depuis deux siècles. Cette longue attente, tant de fois trompée, explique la joie qu’il éprouve et dont il n’est plus le maître, quand enfin son idéal se présente à lui. On ne s’étonnera pas que le jugement qu’il porte sur César manque parfois de précision. Il l’admire trop pour le voir tout à fait comme il est. À la hauteur où il le place, il n’est presque plus possible de distinguer les traits de sa figure. C’est une glorification et une apothéose plu-