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offre le pouvoir absolu. À partir de ce moment, il n’est vraiment plus occupé dans son histoire qu’à chercher autour de lui « le despote au bras fort qui pourra donner à Rome la modeste somme de bonheur compatible avec l’absolutisme. » Un moment il croit le trouver dans le premier Africain. Scipion n’a-t-il pas séduit la foule par l’éclat de sa valeur et les grâces de sa personne ? Ne s’est-il pas appuyé sur les légions dont il achetait les faveurs par ses largesses et ses complaisances ? Ne prend-il pas plaisir à se faire suivre au Forum par une armée de cliens et de serviteurs ? C’est l’appareil de la royauté, — M. Mommsen espère bien que, puisqu’il en aime les dehors, il en voudra prendre aussi l’autorité ; — mais au dernier moment Scipion recule. Il a le tort de ne pas voir clairement dans son ambition ; « perdu dans le nuage de ses rêves, charme et faiblesse à la fois de sa remarquable nature, il ne s’est point réveillé, ou ne s’est réveillé qu’incomplètement. » C’est décidément un génie fort imparfait, puisqu’il se contente d’être le premier citoyen de son pays quand il pourrait s’en faire le maître. M. Mommsen le traite assez durement ; il ne lui pardonne pas d’être forcé d’aller chercher son sauveur ailleurs. Heureusement les Gracques paraissent. Cette fois M. Mommsen est pleinement satisfait, et son idéal lui semble réalisé. La manière dont il analyse les projets des Gracques et dont il explique leurs intentions risque fort de déplaire à ceux qui veulent en faire les héros de la démocratie. La noblesse, pour avoir un prétexte de les tuer, les accusait d’aspirer à la tyrannie. M. Mommsen accepte le reproche et leur en fait gloire. Caïus Gracchus, pour lui, est un véritable monarque ; il s’est fait usurpateur de propos délibéré, et il a bien fait. Il n’a pas entrepris, comme le prétendent « tant de braves gens anciens et modernes, » de rétablir la république sur des bases nouvelles et démocratiques, il a voulu détruire la république. Aucun doute, suivant l’historien, n’est possible. « Qu’il ait vraiment fondé la tyrannie, ou, pour emprunter la langue du XIXe siècle, la monarchie napoléonienne, absolue, anti-féodale, anti-théocratique, c’est un fait qui saisit dès qu’on ouvre les yeux pour voir. » Il paraît seulement, malgré les encouragemens passionnés de M. Mommsen, que C. Gracchus s’était trop pressé, puisqu’il échoua dans son entreprise, et qu’il finit par être à peu près abandonné de ses partisans, vaincu par ses ennemis et forcé de se tuer lui-même dans le bois sacré de Furrina.

Les Gracques défaits, M. Mommsen recommence à chercher avec plus d’ardeur que jamais son despote au bras fort qui lui tient tant au cœur. Son impatience est telle qu’il ne choisit plus, et qu’il est prêt à prendre tout ce que le hasard lui donne. Sylla n’appartient pas au parti qu’il aime le mieux, c’est un aristocrate qui ne tra-