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livrer à la justice du pays. L’autorité royale survécut donc à la révolution qui chassa les rois. La première atteinte sérieuse qu’elle reçut fut la création des tribuns du peuple ; aussi M. Mommsen est-il fort hostile au tribunat. Ce n’est pour lui qu’un assez pauvre compromis entre des ambitions rivales qui n’a eu d’autre résultat que de briser l’unité de la cité, et, en donnant des chefs au parti populaire, d’organiser la guerre civile.

On comprend qu’avec ces principes la démocratie soit odieuse à M. Mommsen. Le suffrage universel lui parait l’origine de tous les maux. Il ne peut souffrir les pays où l’assemblée du peuple règne et domine, où le pouvoir appartient « à ceux qui possèdent le facile talent de charnier des oreilles inexpérimentées. » Il s’emporte avec violence contre ce qu’il appelle la boite de Pandore du suffrage populaire, qui dans les momens de danger public, quand l’ennemi est aux portes de la ville, au lieu de choisir un général expérimenté pour le combattre, s’en va nommer quelqu’un de ces soldats citoyens « habitués à tracer leurs plans de bataille sur la table d’une échoppe à vin. » Les démocrates les plus honnêtes lui semblent des niais « qui jouent leur vie et leur fortune sur des mots ; » il fait des autres les peintures les plus comiques, il aime à les montrer à l’œuvre « avec tout l’attirail de l’emploi, manteaux râpés, barbes ébouriffées, cheveux flottans, basses-tailles profondes. » Ce n’est pas qu’il ait aucun goût pour l’aristocratie. Il rend bien quelquefois justice à l’habileté du sénat, mais c’est toujours sans enthousiasme ; même quand il veut l’admirer le plus, l’éloge est froid et forcé. Il ne lui accorde que l’opiniâtreté et l’esprit de suite ; il lui refuse la hauteur dans les vues et la souplesse dans l’exécution. Il ne veut pas admettre, comme Polybe, que la conquête du monde soit l’effet d’un plan préparé. Loin que le sénat ait toujours prévu les événemens, il montre que les événemens l’ont souvent surpris et déconcerté. Il ne s’attendait pas, quand commence la lutte avec Carthage, au genre de guerre qu’il aurait à soutenir. Il attaque une nation maritime sans se faire une marine ; il ne pense à prévoir et à prévenir le danger d’une invasion de l’Italie que lorsque Hannibal a passé les Alpes. Ces sénateurs tant vantés sont donc en somme d’assez pauvres politiques ; ce sont de plus des despotes égoïstes et des maîtres insolens. Ils ne songent qu’à eux, ils ne cherchent dans le pouvoir que les jouissances qu’il procure. En devenant plus médiocres, ils se font plus exigeans ; leur impertinence s’accroît avec leur incapacité, et c’est quand ils ne savent plus exercer le pouvoir qu’ils ne veulent plus le partager avec personne. Leurs prétentions ridicules, « leur énervement et leur rapetissement séniles » impatientent M. Mommsen ; ils lui deviennent à la fin tout à fait insup-