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pour leur montrer combien leur admiration s’égarait, qu’il prend à tâche d’abaisser autant qu’il le peut les littératures des races romaines devant celles des peuples du nord. Dans ce rapprochement, les Italiens ne sont pas épargnés. M. Mommsen n’a pas toujours été aussi tendre pour eux qu’il l’est subitement devenu quand il s’est agi de les empêcher de nous secourir. Je ne parle pas seulement du temps où il soutenait hautement dans les salons de Paris que le quadrilatère était nécessaire à la sûreté de l’Allemagne, et que Vérone n’était pas une ville italienne ; ce qui ne l’empêche pas d’affirmer aujourd’hui « qu’il ressentit une grande joie quand la Lombardie secoua ses fers, » et d’écrire à ses amis de Milan cette phrase qui leur aura paru sans doute un peu singulière : « ce ne sont pas les Allemands qui voudront jamais s’emparer de ce qui vous appartient justement. » Mais pour m’en tenir à l’Histoire romaine, M. Mommsen, à l’époque où il l’écrivit, n’était pas encore un admirateur bien vif de l’Italie, et il se faisait peu de scrupules de la blesser dans son orgueil littéraire. L’Italie pense avoir une littérature qui n’est pas sans gloire ; elle s’imagine que le pays qui a donné le jour à Catulle et à Lucrèce, à Horace et à Virgile, à Dante et à l’Arioste, n’est pas tout à fait déshérité de la muse ; c’est une prétention que M. Mommsen relève durement. « Les Italiens, dit-il, n’éprouvent pas la passion du cœur ; ils n’ont ni les aspirations surhumaines vers l’idéal, ni l’imagination qui prête à la chose sans vie les attributs de l’humanité ; ils n’ont point, en un mot, le feu sacré de la poésie. » Voilà un arrêt sévère, et ceux qu’il atteint n’ont pas la ressource de s’en consoler en songeant qu’il leur reste au moins la gloire des arts. S’il ne la leur enlève pas tout entière, M. Mommsen la diminue singulièrement. Il reconnaît que l’Italie « triomphe dans la plastique et l’architecture ; » mais la raison qu’il en donne ne lui permet pas d’en être très fière. « Ce ne fut point, nous dit-il, dans les champs de l’idéal que l’artiste italien fit ses principales conquêtes ; la beauté, pour l’émouvoir, dut apparaître à ses sens et non pas seulement à son âme. » C’est donc à une sorte d’infériorité morale que l’Italie doit ses sculpteurs et ses architectes ; quant à la musique, il faut décidément qu’elle renonce à s’en vanter. « La musique italienne, autrefois comme de nos jours, s’est moins distinguée par la profondeur de l’idée créatrice que par la facilité prodigieuse d’une mélodie qui s’élance en fioritures de virtuose : à la place de l’art vrai, intime, le musicien d’Italie a pour idole une divinité creuse et souvent aride. » On devine au profit de qui M. Mommsen dépouille ainsi les Italiens de ces gloires que le monde était habitué à leur accorder. Il ne cherche pas du reste à le dissimuler, et s’exprime avec une franchise courageuse : « il n’a été donné