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seulement que Boniface VIII eût été vrai pape, et, pour le nier, il fut obligé de se faire plus catholique que le pape. Quels sont les reproches que Nogaret adresse à Boniface ? D’avoir refréné l’inquisition, de lui avoir arraché des victimes, d’avoir été favorable au savant Arnauld de Villeneuve, d’avoir été un croyant peu fanatique, en un mot de ne pas avoir été assez catholique. On ne saurait nier qu’en toute cette affaire Boniface ne se montre fort, supérieur comme hauteur et largeur d’esprit à ses âpres persécuteurs. Philippe voulut dominer, non être indépendant. Il attaqua le pape, non la papauté, et en un sens il en fortifia le principe. Il humilia le saint-siège pendant un siècle, le subordonna momentanément à la France ; il ne sut ni le détruire, ni se soustraire à son obédience. Sûrement les prétentions d’un Grégoire VII, d’un Innocent III furent enterrées pour toujours ; le principe des nations fut délivré de la suzeraineté papale. La victoire du roi de France à cet égard fut complète, le roi de France accomplit ce que l’empereur d’Allemagne n’avait pu faire ; il tua la papauté du moyen âge, la papauté aspirant à être l’arbitre des rois, et pourtant il ne fonda pas le protestantisme. De là dans la politique de la France à l’égard du saint-siège quelque chose de toujours gauche ; de là ces maladroites interventions dans les affaires romaines qui n’aboutissent jamais ni à contenter la papauté ni à une rupture ouverte avec la papauté.

On ne peut pas dire que le sort qui frappa Boniface ait été immérité ; dans un accès d’orgueil et de mauvaise humeur, il voulut bien réellement détruire la France. La France, en lui résistant, ne fit que se défendre ; mais tel était l’esprit du temps qu’on ne pouvait vaincre le fanatisme qu’en affectant un fanatisme plus intense. Voilà pourquoi les publicistes de Philippe le Bel, Nogaret, Du Bois, procèdent contre Boniface, contre les templiers, exactement de la même manière que contre les juifs, en exagérant le principe du droit canonique et de l’inquisition. Pour remédier à l’abus des excommunications, ils tournent à leur profit et appliquent sans mesure le principe qu’ils veulent combattre. Le zèle religieux qu’ils affichaient était-il sincère ? Le roi Philippe le Bel paraît avoir été un tout aussi âpre croyant que saint Louis, un chrétien sans la moindre arrière-pensée. Petit-fils de patarin, Nogaret mêle peut-être un peu d’hypocrisie à ses grandes protestations de dévoûment catholique. La réaction d’une conscience fortement chrétienne contre la papauté corrompue et incrédule forma Luther ; nous doutons qu’on en puisse dire autant de Nogaret. Léon X était plus éclairé que Luther, tandis que nous n’oserions dire qu’au fond Nogaret fût plus croyant que Boniface. L’inquisition, surtout dans le midi, avait mis à l’ordre du jour la mauvaise foi, les subtilités juridiques. Il faut se garder d’appliquer à un temps les règles d’un autre temps. Nogaret, au XVIe siècle,